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Diffusé sur France 5, l’objectif du documentaire et de l’essai Lady sapiens est de brosser le « portrait-robot » de la femme du Paléolithique. Pour cela, les auteurs nous invitent à découvrir les dernières hypothèses élaborées par les chercheurs.
Le livre et le documentaire s’ouvrent sur une statuette mise au jour dans la Somme, sur le site de Renancourt. Cette statuette est datée du Gravettien, entre 28 000 et 22 000 avant le présent. La femme du Paléolithique nous est présentée au travers d’une symbolique née dans l’imaginaire des préhistoriens du XIXe siècle : la « Vénus ». Garder ce terme de « Vénus », plutôt que nommer ces objets « statuettes féminines en ronde-bosse », enferme d’emblée la femme dans le carcan symbolique que les hommes modernes ont attribué à ces objets. Le nom de « Vénus » leur a été attribué dès 1864 en référence à Sarah Baartman dite la « Vénus Hottentote ». Ces statuettes sont immédiatement investies d’une valeur mythique et originelle, traduisant la vision linéaire et raciste de l’évolution qui dominait alors. C’est ainsi qu’Édouard Piette, en 1894, distingue deux races : les stéatopyges, et les astéatogynes plus civilisées.
On nous dira que « Vénus » c’est plus sexy que « statuette », plus vendeur, tout comme le titre Lady sapiens qui renvoie à la noblesse anglaise et à son statut d’épouse du chevalier. Il est toutefois remarquable que le documentaire se termine sur cette même symbolique, renouant avec le mythe de la déesse-mère, « la mère originelle par où le monde a été enfanté ». En réalité, cela n’est pas si étonnant, comme toujours, la femme du Paléolithique glisse d’une mythologie à une autre : la femme féconde, tour à tour bestialisée et/ou déifiée. Selon les chercheurs, ce pouvoir d’enfantement aurait été perçu, au Paléolithique, comme pouvoir spirituel. Pouvoir que les femmes actuelles tentent de se réapproprier. Dans nos sociétés modernes, où l’asymétrie de genre est particulièrement oppressive, ce pouvoir d’enfantement leur vaut d’être exploitées et dominées pour la PMA (exploitation des ovocytes) et la GPA (exploitation de l’utérus). Infantilisées pendant la grossesse, elles sont victimes de violences obstétricales, leur corps étant considéré comme un contenant, ou comme vivier pour l’exploitation salariale quand elles sont célibataires :
« Soit elles sont stigmatisées par le “pognon de dingue” que coûtent les maigres aides sociales qui leur permettent de vivre, indignement pointées du doigt comme des assistées, soit elles sont surexploitées dans des jobs mal payés, à la merci des temps partiels accumulés, des CDD, de l’intérim, du travail du dimanche. Elles sont aides ménagères, aides à domicile, assistantes maternelles, dans les métiers du soin de bas de l’échelle dans les hôpitaux, les Ehpads, les écoles. 90% des métiers des services à la personne sont effectués par des femmes [1]1https://christinedelphy.wordpress.com/2019/01/04/les-meres-en-jaune/»
Il est regrettable que la parole des anthropologues et sociologues féministes soit inexistante dans ce documentaire. Elles auraient pourtant pu rappeler certains faits :
«… la mobilisation de la classe des femmes au service de celle des hommes passe par l’appropriation (collective et privée) de leur individualité matérielle, corporelle : ce n’est pas la seule “force de travail“ des femmes qui est appropriée par le mari-père, c’est la femme elle-même [2]2Colette Guillaumin,« Pratique du pouvoir et idée de Nature, L’appropriation des femmes », Questions féministes, n o 2, 1978, p. 5-28.».
Rappelons, en effet, que la présence de statuettes féminines n’est nullement une preuve de l’absence de domination masculine, ainsi de nos vierges à l’enfant si présentes dans nos villes et campagnes et qui participent à l’appropriation de ce pouvoir par la classe des hommes pour maintenir le patriarcat. Il ne s’agit pas d’affirmer ou infirmer là l’existence d’une domination masculine au Paléolithique mais de préciser que les statuettes féminines ne sont nullement une preuve de son absence. Historiquement, la glorification des mères a toujours été, depuis des siècles, l’outil d’asservissement des femmes aussi bien dans le cadre du mariage que dans la plupart des relations dites libres. C’est d’ailleurs pour cela que de nombreuses femmes réclament le droit à la non maternité et/ou se sont révoltées contre elle. Il en est ainsi de Simone de Beauvoir qui écrit dans Le deuxième sexe :
« … la fécondité absurde de la femme l’empêchait de participer activement à l’accroissement des ressources, tandis qu’elle créait indéfiniment de nouveaux besoins. Nécessaire à la perpétuation de l’espèce, elle la perpétuait avec trop d’abondance : c’est l’homme qui assurait l’équilibre de la production et de la reproduction. »
Simone de Beauvoir était bien sûr victime des dualismes culturels patriarcaux :
« … ce n’est pas en donnant la vie, c’est en risquant sa vie que l’homme s’élève au-dessus de l’animal ; c’est pourquoi dans l’humanité la supériorité est accordée non au sexe qui engendre, mais à celui qui tue. »
La maternité n’est en soi ni bonne ni mauvaise, elle est tout simplement une réalité biologique que l’idéologie culturelle va ou non transformer en oppression. Son contrôle est plus poussé et violent dans les civilisations où dominent les lignées agnatiques, où la filiation se fait par les mâles.
Un regard féministe aurait également nuancé la sexualité. Le corps des femmes est, depuis des siècles, soumis à une sexualité définie par et pour les hommes, sexualité qui conçoit la pénétration comme un acte de colonisation et d’appropriation du corps des femmes. Cette domination s’affirme, et ce dans de nombreuses cultures actuelles, par le viol et/ou sa menace, viol ayant même été institutionnalisé dans de nombreuses cultures et jusque dans notre propre civilisation : mariages arrangés, devoir conjugal. Il est regrettable qu’une telle vérité n’ait pas même été abordée malgré toutes les luttes actuelles contre l’inceste et le viol. Mais il est vrai que c’est un homme civilisé qui nous a nommé, en 1758, Homo sapiens, nous sommant ainsi d’être « intelligent, sage, raisonnable, prudent »[3]3 Carl Linnæ, Systema naturæ sistens regna tria naturæ, in classes et ordines, genera et species redacta tabulisque æneis illustrata, editio sexta emendata et aucta, 1748, Stockholmiæ, impensis … Continue reading. Fait remarquable, c’est à la même époque que le mot civilisation apparaît pour la première fois, en 1766 dans l’ouvrage L’Antiquité dévoilée par ses usages de Nicolas-Antoine Boulanger, recouvrant alors les mots de « police » et de « policé ». L’opposition entre civilisation et barbarie fait apparaître le contrôle des corps et des émotions comme indispensables pour lutter contre la débauche, la grossièreté et la luxure, comportements ainsi associés à l’homme à l’état de nature. Ce sont ces qualités que la virilité, propre à l’humain adulte mâle, privilégie :
« Le vir n’est pas simplement homo, le viril n’est pas simplement l’homme, il est davantage : idéal de puissance et de vertu, assurance et maturité, certitude et domination. D’où cette situation traditionnelle de défi : viser le ‘‘parfait’’, l’excellence, autant que l’‘‘autocontrôle’’[4]4 Alain Corbin, Jean-Jacques Courtine, Georges Vigarello (dir.), L’invention de la virilité 1, Histoire de la virilité, Paris, Seuil, 2011, p. 5.»
Cette opposition renforce le dualisme entre culture et nature qui gouverne l’opposition entre humanité et animalité, mâle et femelle, civilisé et sauvage, transcendance et immanence. Mieux vaut donc que Lady sapiens soit digne de son espèce et surtout de sa civilisation, et ignorer son possible penchant pour une sexualité moins viricentrée.
À la fois grande, athlétique, puissante, douce, tendre, Lady sapiens est pourtant la seule, grâce à ses petites mains, à pouvoir façonner des perles ! Cette affirmation de Randall White n’est fondée sur aucune preuve archéologique. Il est utile de rappeler que les Gynhomos du Paléolithique avaient aussi des enfants et que ces enfants aimaient certainement participer à la confection de parures, de perles, etc. Si, comme l’affirme Randall White, seules des petites mains peuvent façonner les perles il serait donc plus judicieux de penser aux enfants de Lady et Sir sapiens. Quoi qu’il en soit, les hommes sont tout à fait capables, malgré leurs grosses paluches, de façonner des perles. Il est remarquable aussi que les images nous montrent quasi toujours des chasses aux mammouths. Pourtant, ce sont les ongulés de taille moyenne – rennes, cerfs, bisons, chevaux – qui ont été le plus souvent chassés, la chasse des méga-herbivores faisant toujours débat[5]5 Agam, A.; Barkai, R. Elephant and Mammoth Hunting during the Paleolithic: A Review of the Relevant Archaeological, Ethnographic and Ethno-Historical Records. Quaternary 2018, 1, 3. … Continue reading. Nous retrouvons donc ici Le mythe du Grand prédateur. C’est que la chasse au gros gibier pourrait avoir été principalement destinée à acquérir du prestige et un statut social[6]6 Jones, B.A. “Paleoindians and proboscideans: Ecological determinants of selectivity in the southwestern United States”, Hunters of the Recent Past, 1st ed., Davis, L., Reeves, B., Eds.; … Continue reading. Selon certains, cette chasse était pratiquée principalement pour sa valeur de prestige, ou pour d’autres avantages sociaux et politiques. Il n’est donc pas étonnant que les chasseurs de mammouths fassent tant rêver le Seigneur sapiens.
Le documentaire a pour objectif de revaloriser les hommes du Paléolithique mais aussi et surtout, en ces temps où les études sur le genre sont à la mode[7]7« Le genre est en quelque sorte “le sexe social” ou la différence des sexes construite socialement. », Françoise Thébaud, Écrire l’histoire des femmes et du genre, Lyon, ENS, … Continue reading, le rôle des femmes dans la grande histoire des vainqueurs. Ce sont donc nos valeurs culturelles actuelles, préoccupées d’écologie et d’égalité entre les sexes, qui sont projetées sur Lady sapiens, puissante, athlétique, capable de tailler, de chasser, de coudre et d’enfanter toute seule. Comme toujours, les valeurs culturelles sont définies par l’élite intellectuelle et politique selon ses besoins économiques et idéologiques. Rappelons donc que les femmes du peuple, ouvrières et paysannes, souvent petites, robustes et trapues, ont toujours su vivre seules. D’ailleurs, quand Johnny s’en va-t-en guerre, elle sont tout a fait capables de chasser, tailler, coudre, enfanter, fabriquer des armes, travailler dans les usines, dans les mines, etc. Mais il est plus vendeur et sexy de la nommer Lady et de la présenter athlétique plutôt que petite et trapue, esthétique oblige. Valoriser la femme, c’est lui accorder les mêmes qualités que l’homme, du moins un maximum d’entre elles. Lui reconnaître certaines qualités propres au « mâle alpha » est un honneur. S’il est exact que les fossiles du Paléolithique européen étaient plus grands et robustes, une variabilité existait pourtant. Ainsi, le « mâle Alpha » de l’abri de Cro-magnon (Dordogne) présente des os de membres supérieurs qui sont parmi les plus grands de tout l’échantillon du Paléolithique récent tandis que la « femme Beta » présente des os courts et robustes. Ces dimensions correspondent à la relative homogénéité morphologique des 10 000 ans du technocomplexe gravettien réparti dans l’ouest de l’Eurasie[8]8 Sébastien Villotte, Adrien Thibeault, Vitale Sparacello, Erik Trinkaus, « Disentangling Cro-Magnon: The adult upper limb skeleton », Journal of Archaeological Science: Reports, … Continue reading. Cependant, des différences frappantes sont visibles entre les individus du Gravettien, qui ont tendance à avoir des os plus longs, et les individus qui leur succèdent, ce qui serait dû à un remplacement de population suite au dernier maximum glaciaire à partir de 21 000 avant le présent. À noter, qu’une variabilité importante existait sûrement comme elle existe aujourd’hui entre Maasaï et Pygmée, par exemple.
Mais il est vrai que nous sommes chez des chasseurs d’Europe. Il est étonnant que le contexte chrono-culturel et géographique apparaisse si peu dans cette grande fresque. Le documentaire ne s’appuie que sur les quelques rares fossiles qui nous sont parvenus et qui, pour la plupart, correspondent à la période dite du Gravettien (31 000 à 21 000 avant le présent). C’est dans ce “technocomplexe” que les paléolithiques d’Eurasie inhument certains de leur morts, sculptent et façonnent les statuettes féminines. Avant et après cette période, rares sont les inhumations du Paléolithique récent d’Europe, et on suppose que les pratiques funéraires étaient plus orientées vers l’incinération ou l’inhumation céleste. Le “portrait-robot” s’appuie donc très majoritairement sur les données archéologiques du Gravettien qui représente une courte période dans l’histoire des gynhomos : 10 000 ans.
Forte et indépendante, Lady chasse mais surtout, nous dit-on, pratique la cueillette et travaille les matières périssables. Le documentaire reprend ainsi l’idée couramment admise que la chasse au gros gibier – la chasse aux mammouths – est une affaire d’hommes, femmes et enfants rabattant éventuellement les proies. Toutes ces hypothèses sont basées, non sur des preuves archéologiques, mais sur les images des peuples indigènes actuels et sur les stéréotypes couramment admis dans notre culture. Les seules preuves archéologiques pouvant potentiellement indiquer une division sexuelle des tâches sont les marqueurs ostéologiques d’activité, les enthésopathies. Elles ont été étudiées notamment par Sébastien Villotte qui a analysé 29 fossiles humains mâles européens du Paléolithique récent et du Mésolithique. Quatre d’entre eux présentent des lésions qui peuvent être associées à des activités de lancer, alors qu’aucune femelle ne présente de telles lésions[9]9 Sébastien Villotte et al., « Subsistence activities and the sexual division of labor in the European Upper Paleolithic and Mesolithic: Evidence from upper limb enthesopathies », … Continue reading. Cela confirme-t-il une division sexuelle entre chasse et cueillette au Paléolithique ? Que fait-on de ces 25 mâles qui ne présentent pas ces enthésopathies ? Étaient-ils incapables de lancer ou simplement le faisaient-ils plus modérément ?
De nombreux auteurs s’appuient sur ces quelques données archéologiques et les peuples indigènes actuels pour affirmer que la domination masculine a toujours existé, que les armes tranchantes ont toujours été interdites aux femmes, que la guerre est une affaire d’hommes. Pourtant, l’exception des Agta a bien de quoi faire exploser la règle. Il suffit d’un exemple pour remettre en question des certitudes fondées sur des intuitions idéologiques et non sur des preuves archéologiques. En 1952, Fox a signalé la présence d’habiles chasseuses à l’arc et aux flèches parmi les Pinatubo Negritos des montagnes Zambales de l’ouest de Luzon. Plus récemment, Estioko-Griffin et Griffin (1975, 1981), qui étudiaient les Agta du nord-est de Luzon et des provinces de Cagayan aux Philippines, ont enregistré une chasse intensive au cochon sauvage et au cerf de la part des femmes Agta. En 1980 et 1981, ils ont recueilli des données sur les activités de chasse et les modes de reproduction des Agta dans la vallée de Nanadukan, dans la province de Cagayan. Ces activités ne sont nullement incompatibles avec la maternité et le soin aux enfants[10]10 Goodman, M.J., Griffin, P.B., Estioko-Griffin, A.A. et al. The compatibility of hunting and mothering among the agta hunter-gatherers of the Philippines. Sex Roles 12, 1199–1209 (1985). … Continue reading. Il existe également des peuples pacifiques qui interdisent le viol (les Pygmées Mbuti, par exemple[11]11 Sanday PR. The Socio‐Cultural Context of Rape: A Cross‐Cultural Study. Journal of Social Issues. 1981;37(4):5‑27.). Si actuellement la répartition sexuelle des tâches apparaît comme un fait universel, elle ne doit pas invisibiliser les multiples violences que les femmes subissent dans nos sociétés dites modernes, que les technologies autoritaires renforcent : féminicides, prostitution, pornographie, exploitation salariale, sexuelle et reproductive. Cependant, rappelons encore une fois que les peuples indigènes ne sont pas les peuples du Paléolithique. Comme le montrent les changements iconographiques, la domestication animale, qui exige capture, confinement, captivité, enclos, contrôle de la reproduction, a considérablement modifié la vision que les hommes ont d’eux-mêmes. Aucun peuple actuel n’a échappé à la diffusion de la domestication ni à son idéologie qui est l’exploitation de la chair et qui questionne donc notre propre incarnation.
L’impact de la domestication sur la cosmologie des peuples est importante, elle participe à la virilisation de l’homme, à l’enfermement de la femme, des esclaves et des bêtes de somme dans la sphère domestique, et à son mépris. Les changements iconographiques des camélidés dans les Andes mais aussi celle de la Yourte des chamanes hiérarchiques en témoignent. Les idéologies voyagent et s’imposent parfois mieux que les techniques, c’est ainsi que « l’image prestigieuse du cavalier des steppes dans le chamanisme de peuples forestiers, alors même qu’ils ne pratiquent pas l’équitation[12]12 Charles Stepanoff, Voyager dans l’invisible.Techniques chamaniques de l’imagination, Paris, La Découverte, 2019, p. 393» est d’une grande importance.
Affirmer que la domination masculine a toujours existé permet de justifier l’histoire des vainqueurs, c’est-à-dire la civilisation actuelle qui s’est développée par et pour le mythe de la supériorité de l’humain adulte mâle au détriment des femmes et de groupes humains plus pacifiques. L’histoire nous le confirme, cette civilisation misogyne ne nous permettra jamais de nous libérer de la domination masculine. L’augmentation des violences envers les femmes ne cesse de croître : féminicides, prostitution, pornographie, viols, incestes, exploitation domestique. Les nouvelles technologies ne font que l’affirmer et l’accentuer. La promesse que la femme puisse être un homme comme les autres ne nous réjouit pas. Pouvoir être cheffe d’entreprise, se payer une nounou, une mère-porteuse, une femme de ménage, n’est en rien émancipateur. La division du travail est un échec et l’avenir ne nous promet rien de bon. Il est étonnant que ces auteurs négligent systématiquement les violences que subissent aujourd’hui femmes et enfants du fait de notre propre civilisation. C’est que cela permet de juger le passé pour valoriser le présent et d’invisibiliser les techniques les plus autoritaires qui continuent de se déployer au profit d’une poignée de privilégiés, aux dépens du vivant.
Cependant, que la domination masculine se perde dans la nuit des temps ou pas, au vu de sa manifestation actuelle si violente, nous n’avons, nous, les femmes, pas d’autre choix que de réfléchir sérieusement à des moyens efficaces pour y mettre fin. Deux solutions sont possibles : soit nous nous séparons des hommes soit nous nous inspirons de nos cousins les bonobos chez lesquels les femelles coopèrent entre elles et s’organisent pour s’opposer à la violence des mâles. Selon les travaux de Keith Otterbein[13]13Keith Otterbein, How war began, College Station : Texass A&M University Press, 2004. et de Francis Dupuis-Déri[14]14 Francis Dupuis-Déri, La crise de la masculinité. Autopsie d’un mythe tenace, Paris, Remue-Ménage, 2019, 320 p, les groupes d’intérêt fraternel et les boy’s clubs génèrent la violence et valorise une masculinité hégémonique et misogyne. Laisser les mâles entre eux favorise les guerres, la misogynie, les agressions et les viols : armée, ordres monastiques, laboratoires scientifiques, universitaires, etc. La violence humaine est en effet très majoritairement le fait des hommes (ce qui ne signifie pas que les femmes soient dénuées de violence et d’agressivité), elle est toujours favorisée par des groupes de jeunes mâles et est inévitablement impliquée dans les systèmes hiérarchiques à extension territoriale. D’après certaines études, la chasse au gros gibier en macrobande favorise également la violence masculine[15]15Charles Macdonald, L’ordre contre l’harmonie, Anthropologie de l’anarchie, éditions Pétra, 2018. Briser les groupes masculins (fondés sur une virilité exacerbée, la compétition, la peur des autres hommes et le mépris, voire la haine des femmes) est donc une nécessité et n’est possible que si les femmes parviennent enfin à quitter le cercle vicieux de la compétition pour se soutenir entre elles, coopérer, et protéger les enfants de la socialisation mortifère de la compétition et de l’agression.
Livre et documentaire s’inscrivent d’emblée dans une fiction libérale anti-féministe : aucune remise en question de l’imaginaire sexuel de nos sociétés à fortes dominations masculines, aucune critique du mythe de la femme « origine du monde », de la déesse-mère, dont la réalité n’a jamais été avérée ; aucune critique sur la réassignation des stéréotypes de sexe à travers une division sexuelle des tâches qu’aucune preuve archéologique ne confirme pour le Paléolithique ; aucune critique sur la manière dont les adultes prennent soin des enfants ni sur la socialisation des sexes. C’est un récit construit sur des preuves archéologiques plus que ténues, des hypothèses parfois carrément farfelues mais qui ne sortent jamais des sentiers battus. Seule la force et la puissance sont véritablement mises en avant pour que la femme accède enfin à l’avant-dernier échelon de la pyramide construite à la gloire de sapiens. À cela s’ajoute le choix esthétique d’illustrer le documentaire par des images virtuelles extraites du jeu vidéo « Far Cry Primal ». Un avatar de pixels pour une Lady sapiens sans chair, une chimère de fossiles reconstitués en 3D dans des laboratoires aseptisés et écocides de l’avenir 2.0. Malgré tout, le documentaire et le livre auront le mérite, en ces temps dits post-modernes, de reconnaître que la femme possède une réalité biologique indispensable à la survie de notre espèce.
Ana Minski
Relecture et correction : La sororité
References[+]