Illustration de couverture : Le village des damnés, Wolf Rilla, 1960.

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Michel Odent est un chirurgien et obstétricien français. Les éditions le Hêtre Myriadis ont publié plusieurs de ses ouvrages dont Le fermier et l’accoucheur et L’humanité survivra-t-elle à la médecine ?

Dans Le fermier et l’accoucheur, Michel Odent identifie plusieurs similitudes entre l’industrialisation de l’élevage et l’industrialisation de la naissance. L’une et l’autre évoluent parallèlement au cours du 20ème siècle. Elles imposent centralisation et standardisation, entraînant la disparition des petites fermes, blâmant l’accouchement à la maison, condamnant les petites maternités à la disparition. L’intensification de l’élevage a grandement contribué au développement des industries chimiques et pharmaceutiques, avec l’utilisation d’engrais synthétique, d’herbicides, d’insecticides. L’élevage sélectif augmente la productivité de viande et de lait grâce à l’injection d’antibiotiques et des combinaisons d’hormones. Le fœtus, par la transmission placentaire, est exposé à une grande diversité de ces substances synthétiques solubles dans les lipides, et en particulier les insecticides et herbicides, substances polychlorinées qui s’accumulent dans les tissus adipeux. Il est donc important de s’inquiéter de cette pollution intra-utérine en étudiant la santé primale qui commence dès la période intra-utérine et se termine à la fin de la première année.

À ces problèmes de pollution s’ajoute les effets pervers d’une standardisation des naissances humaines en milieu hospitalier.

Progrès médicaux et plus particulièrement chirurgicaux imposant peu à peu la naissance en milieu hospitalier qui devient très rapidement la norme. Toute une série de protocoles  doivent désormais être respecter par les sages-femmes et les obstétriciens, évoquant de plus en plus le travail à la chaîne. Cette industrialisation de la naissance passe par un contrôle toujours plus poussé du médecin, hiérarchisant les rapports entre les médecins et les sages-femmes, dont le statut et le rôle ont rapidement diminué.

« … pour achever l’élimination des sages-femmes, la nécessité de soins de meilleure qualité était mise en avant, en fait les considérations économiques l’emportaient. Les sages-femmes empiétaient sur l’activité des médecins. […] leur activité altérait le recrutement d’hôpitaux où de nouvelles générations de gynécologues-accoucheurs pouvaient acquérir de l’expérience. »

Les dangers que posent les nouvelles techniques d’accouchement devraient être une source d’inquiétude pour l’avenir de l’espèce sapiens.

Dans les années 1930 un mélange de morphine et de scopolamine (twilight sleep) fut administrée aux femmes qui craignaient la douleur de l’accouchement. Vraisemblablement efficace, de nombreuses femmes décidèrent d’accoucher dans les hôpitaux. Cette nouvelle méthode eut pour effet de les rendre passives, ce qui favorisa l’essor d’autres techniques. À partir des années 50, la césarienne classique s’améliore, et une nouvelle étape est franchie avec l’ère électronique qui envahit en quelques années les salles de travail :

« La femme en travail fut de plus en plus entourée d’un réseau complexe de tubes et de fils, y compris la tubulure de la perfusion qui permet l’apport de quantités calculées d’ocytocine synthétique, l’hormone nécessaire aux contractions utérines. L’atmosphère de la salle de travail se transforma. Les femmes mirent au monde leurs bébés dans un environnement électronique. »

L’anesthésie péridurale se développe et devient la méthode la plus efficace pour contrôler la douleur pendant l’accouchement. La médecine fœtale repose désormais sur l’utilisation d’équipements sophistiqués et coûteux.

« Il devient fréquent aujourd’hui d’attribuer le qualificatif de normal à toute naissance par voie vaginale, même s’il y a eu perfusions d’ocytocine, péridurale, forceps ou ventouse, épisiotomie et injection d’un médicament pour faciliter la délivrance du placenta. »

En très peu de temps la mère est devenue une patiente.

Cependant, les avancées technologiques, et plus particulièrement du séquençage de l’ADN, ont ouvert l’horizon sur de nouvelles recherches : l’étude du microbiome. Le microbiome rend compte des interactions complexes entre les cellules produites par nos gènes et les micro-organismes qui les colonisent. Homo sapiens est ainsi un écosystème. Une importance nouvelle est donc accordée à la façon dont le fœtus et le corps du nouveau-né sont initialement colonisés par les micro-organismes. Contrairement aux autres mammifères, les anticorps de la mère sont présents chez le bébé avant sa naissance. C’est la structure particulière du placenta qui permet de familiariser le bébé aux microbes familiers à la mère. Le colostrum, vital pour le veau, ne l’est donc pas pour le bébé humain. Selon Michel Odent, c’est ce qui aurait permis la socialisation de l’accouchement humain, socialisation qui est devenue néfaste pour la mère, le bébé et les générations à venir.

Avec le développement de l’accouchement en milieu hospitalier, les nouveau-nés ne naissent plus parmi une grande diversité de microbes, ce qui affaiblit leur système immunitaire. Entre les bébés exposés aux antibiotiques durant la période périnatale et les bébés nés par césarienne dans l’environnement stérile d’une salle d’opération, la dérégulation du système immunitaire doit être impérativement étudiée sur le long terme.

La pollution intra-utérine par des substances liées à l’industrialisation de l’agriculture représente une menace majeure pour les générations à venir, et plus particulièrement en ce qui concerne le développement neurologique et intellectuel. Pour donner un exemple : l’exposition aux substance polychlorinées avant la naissance a une influence négative sur l’état neurologique à l’âge de 18 mois, ce qui n’est pas le cas lorsque l’exposition a lieu après la naissance, parce que la transmission placentaire est plus importante et efficace qu’une exposition post-natale. Il ne faut cependant pas négliger l’importance de la transmission paternelle : l’agriculteur étant plus exposé que la plupart des autres hommes aux polluants solubles dans les lipides, ses enfants ont plus de risque d’avoir une leucémie lymphoblastique, et cela réduit la fertilité des couples. Les substances synthétiques ont également la fâcheuse capacité de se potentialiser les unes avec les autres pour imiter certaines hormones, et plus précisément les hormones féminines de la famille des œstrogènes. Cette potentialité met en danger le système génital mâle. Certaines anomalies sont de plus en plus fréquentes : testicules non descendues, hypospadias, cancer du testicule. La proportion de garçons à la naissance a également diminué.

Malgré la dangerosité de ces substances, l’impact le plus spectaculaire de l’industrialisation semble surtout se jouer au moment même de la naissance. C’est en s’appuyant sur la base de données « Primal Health Research » que des liens entre les conditions de vie fœtale, les conditions de venue au monde, et la santé de l’individu à long terme sont mis en évidence. De nos jours, les interventions obstétricales, telles que césariennes, déclenchement de l’accouchement, péridurales et délivrances provoqués du placenta, sont très fréquentes. Ainsi, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité les femmes mettent au monde leur bébé sans libérer les hormones nécessaires à la survie d’Homo sapiens.

Michel Odent prévient de l’urgence à laquelle sapiens doit se confronter, et du rôle intrusif de la médecine :

« Le contrôle médical est une corruption du rôle de la médecine. Le rôle de la médecine en général, et de l’obstétrique en particulier – est à l’origine limité au traitement de situations pathologiques ou anormales. Il n’inclut pas le contrôle des processus physiologiques. »

Pourtant, dès les consultations prénatales, ce sont les problèmes potentiels qui sont évoqués. Les femmes peinent alors à être sereines, la césarienne devient une des façons les plus habituelles de mettre au monde un bébé, l’ocytocine synthétique se généralise, et l’anesthésie péridurale est devenu compatible avec l’expression « naissance normale ».

La santé est dans une grande mesure construite pendant la vie intra-utérine et au moment de la naissance, il n’est donc pas étonnant que son industrialisation, comme toute forme d’industrialisation, nuise au bon développement du fœtus et qu’elle le handicape sur le long terme. Il est par conséquent important de remettre en question le système actuel qui affirme que l’hospitalisation est indispensable pour un accouchement sans douleur et sans danger, de remettre en question la naissance médicalement contrôlée, et de réduire autant que possible les risques de souffrance fœtale.

Interroger le passé permet de mieux comprendre comment les mammifères que nous sommes doivent mettre au monde leur petit. C’est en s’appuyant sur les dernières données de la science et de l’ethnologie que Michel Odent nous présente des solutions à long terme.

Comme c’est le cas pour les autres mammifères, la femme, au moment de l’accouchement, a besoin de s’isoler et non d’être observée. L’impact du fait d’être observée est visible dans les zoos où les naissances sont souvent catastrophiques. La femme a besoin d’être protégée contre toute stimulation du néocortex afin de libérer les hormones nécessaires à l’accouchement. Aujourd’hui, médecins, sages-femmes, maris, entravent ce besoin et ne cessent de perturber le déroulement de l’accouchement en posant des questions inutiles et, plus généralement, par leur présence indiscrète. Cela témoigne d’une ignorance de la physiologie de l’accouchement. La stimulation du néocortex tend à rendre l’accouchement plus long, plus difficile et plus dangereux, de sorte que davantage de bébés doivent être sauvés par césarienne.

La phase d’interaction qui va de la naissance du bébé à la délivrance du placenta est hautement perturbée par la socialisation de l’accouchement. Il s’agit pourtant d’une période critique pour la survie de la mère et pour l’attachement mère-enfant. C’est à ce moment que la mère sécrète une grande quantité d’ocytocine, dite aussi hormone de l’amour. Toute distraction tend à inhiber la sécrétion d’ocytocine et donc à gêner la délivrance du placenta. La priorité est donc de redécouvrir le besoin de ne pas se sentir observée pendant l’accouchement. Il faut apprendre à contrôler, voire éliminer, les observateurs et leurs différentes façons d’observer (caméra, appareils photo). La femme qui accouche a besoin de se sentir en sécurité, de ne pas se sentir observée. Une stratégie que les femmes ont utilisée partout dans le monde a été d’accoucher près de leur mère, ou d’une femme ayant eu de nombreux enfants. C’est ainsi qu’est apparue la sage-femme. La sage-femme authentique devrait être une femme ayant déjà eu une expérience d’accouchement sans médicaments, et non une technicienne enfermée dans son étroite spécialité. Il est à noter que la mortalité périnatale est plus basse quand les sages-femmes ont un rôle plus important et qu’elles ne sont pas dépendantes d’un obstétricien (ex. Suède et Japon).

Les dangers que la médecine peut représenter pour Homo sapiens ne s’arrêtent pas là. Comme Michel Odent le développe dans son livre L’humanité survivra-t-elle à la médecine, sapiens est de plus en plus dépendant, et ce dès sa naissance, des techniques et cocktails chimiques de la médecine. La naissance dans des milieux stériles fragilise le système immunitaire et place l’enfant de plus en plus tôt entre les mains des spécialistes de la santé. En même temps, les thérapies géniques — insertion d’un gène dans les cellules d’un sujet pour éviter une maladie — permet à la médecine de neutraliser peu à peu les lois de la sélection naturelle, ce qui a un effet dysgénique certain sur le long terme.

« Aujourd’hui, un degré élevé de fertilité est modéré par la contraception médicalisée, tandis que la stérilité peut être traitée par différentes méthodes de conception médicalement assistée. »

Les naissances médicalisées perturbent le lien mère-enfant, la sécrétion des hormones indispensables au développement d’un état affectif équilibré, et la régularisation d’un système immunitaire sain. L’aliénation et l’autisme qui caractérisent certains sapiens contemporains pourraient bien être causés par la violence de l’environnement froid et stérile de la naissance médicalisée. Une des clés pour lutter contre la destruction et la haine serait un retour au mode de naissance les plus ancestraux : la femme isolée mais protégée par une sage-femme bienveillante et non intrusive.

Les violences obstétricales sont de plus en plus dénoncées et analysées dans plusieurs ouvrages tels que Accouchement, les femmes méritent mieux de Marie-Hélène Lahaye et L’accouchement est politique fécondité, femmes en travail et institutions, de Laëtitia Négrié et de Béatrice Cascales. Elles sont pourtant encore aujourd’hui largement pratiquées et peu remises en question malgré les dernières études qui démontrent bien que l’accouchement à domicile est plus bénéfique pour la femme et l’enfant et que la pratique abusive de la césarienne met en danger la santé de l’enfant. L’autorité du médecin, son pouvoir sur le corps de la femme et les protocoles imposés profitent de la peur de l’accouchement, la grossesse étant toujours perçue comme dangereuse du fait de la croyance encore tenace au dilemme obstétrical. Une émancipation des femmes ne peut bien sûr passer que par une réappropriation du corps et de l’accouchement. De nombreuses informations sur ce sujet sont disponibles sur l’excellent site de Marie-Hélène Lahaye : http://marieaccouchela.net.

En ce qui concerne le travail de Michel Odent, je tiens à exprimer mon désaccord avec plusieurs de ses affirmations qui me semblent dangereuses pour la compréhension éthologiques des sociétés humaines. Il confère aux hormones, telle que l’ocytocine, une importance disproportionnée dans la construction du lien mère/enfant, dans le développement de l’amour maternel, de la « soumission » de la femme à l’enfant, du comportement humain de manière générale, et établit un lien dangereux entre « violence sociale » et pratique de la césarienne, niant, en donnant pour exemple le Mexique, l’importance du politique et de l’économique. Il qualifie Homo sapiens de chimpanzé marin affirmantque la plupart des sites préhistoriques se trouvaient en bord de mer, sites disparus du fait de l’eustatisme. Pourtant, les nombreux sites mis au jour démontrent que les humains du Paléolithique privilégiaient essentiellement les points d’eau potable. Nomades, ils bénéficiaient d’une alimentation riche et variée, et l’iode, qui semble si important pour éviter toute forme de « crétinisme », était disponible grâce à la vivante richesse des rivières dans lesquelles frayaient les saumons. Les humains du Paléolithique étaient nomades, leur alimentation était donc diversifiée et dès ces époques lointaines les ressources marines circulaient, des os de baleines ayant été mis au jour jusque dans les Pyrénées.

Ana Minski