Illustration de couverture : Aquarelle, Ana Minski

Note de lecture de l’essai Sorcières, sages-femmes et infirmières

« … personne ne nuit davantage à l’Église catholique que les sages-femmes. »

(Malleus Maleficarum)

En 2016 est paru, aux éditions Cambourakis, l’essai Sorcières, sages-femmes et infirmières, de Barbara Ehrenreich et Deirdre English. Dans cet essai, publié aux États-Unis en 1973, les autrices enquêtent sur les racines historiques de la perte de pouvoir des femmes sur leur santé.

Jusque dans les années 1970, la profession médicale était dominée par les hommes (90 %). Les femmes étaient ignorantes de leur propre corps et celles qui s’y intéressaient étaient fréquemment cataloguées névrosées. Le corps médical, foncièrement patriarcal, considérait de nombreuses maladies comme psychosomatiques et méprisait le libre arbitre des femmes :

« Dans le protocole chirurgical standard pour le traitement du cancer du sein, à peine la patiente avait-elle effectué une biopsie qu’en cas de résultat positif, elle subissait une mastectomie radicale sans avoir été réveillée de l’anesthésie pour discuter de ses choix. » (p. 10)

Cette prise de contrôle de la santé par les hommes s’est faite en deux phases principales : la persécution des guérisseuses dans l’Europe médiévale et l’essor de la profession médicale masculine.

Persécution des guérisseuses / instauration d’un corps médical masculin

L’histoire des femmes accusées de sorcellerie et brûlées vives nous est parvenue à travers les yeux de leurs persécuteurs. Ces chasses étaient des campagnes bien organisées qui suivaient des procédures légalistes méthodiques. Elles étaient initiées, financées et mises en œuvre par la classe dirigeante, par l’Église et l’État.

Dans l’Europe du Nord, trois accusations principales apparaissent à plusieurs reprises contre les sorcières : elles sont accusées de tous les crimes sexuels, de rendre les hommes impuissants, de provoquer la disparition de leur pénis, d’être organisées, et de posséder des pouvoirs magiques qui affectent la santé.

Lors de ces procès, les femmes représentent 85 % des exécutions. Ce sont 50 000 à 100 000 femmes qui ont été brûlées bien que la plupart d’entre elles se déclaraient chrétiennes. Nombreuses étaient, parmi toutes ces femmes exécutées, des guérisseuses. Ces dernières étaient souvent les seuls médecins généralistes d’une population qui n’avait ni docteurs ni hôpitaux et qui souffrait de la pauvreté et de la maladie. Elles possédaient des savoirs médicaux et obstétriques, pouvaient fournir une aide contraceptive et pratiquer des avortements. Empiristes, elles se fiaient à leurs sens plutôt qu’à la foi ou à une doctrine.

Au contraire, l’Église se méfiait des sens et de la matière, considérait que la maladie était toujours causée par Dieu ou le diable et que la guérison dépendait de la confession du pêché au clergé. C’est pour ces raisons, misogynie et anti-empirisme, que la capacité de soigner des femmes était considérée comme néfaste par l’Église qui établit un lien fort entre la sorcière et la sage-femme. Aussi, que la magie ait été malfaisante ou bienfaisante ne changeait pas le fait que les guérisseuses se passaient du clergé et de dieu pour soigner ou nuire. Mais l’Église n’était pas la seule ennemie des guérisseuses.

Les classes dirigeantes possédaient des médecins formés à l’université et acceptés par l’Église :

« Confrontée à la misère des pauvres, l’Église se retournait vers le dogme selon lequel ce qu’on éprouve dans ce monde est passager et sans importance. Mais il y avait deux poids deux mesures, car l’Église n’était pas contre les soins médicaux apportés à la classe dominante. Les rois et les nobles avaient leurs médecins de cours, qui étaient des hommes, parfois même des prêtres. » (p. 49)

La lutte contre les guérisseuses a donc été une guerre des sexes mais aussi une lutte de classe. Les femmes soignantes étaient les médecins du peuple, leur médecine faisait partie d’une sous-culture populaire.

Dès le XIIIe siècle, la médecine européenne s’établit solidement comme science séculière et comme profession. Au cours du XIVe siècle, les médecins hommes avaient conquis un monopole indiscutable sur l’exercice de la médecine au sein des classes dominantes. L’obstétrique resta cependant dans le domaine des sages-femmes pendant encore trois siècles. La profession médicale s’engagea alors dans l’élimination des femmes-soignantes en leur interdisant l’accès aux universités. La première cible de ces médecins universitaires ne fut pas la guérisseuse paysanne mais la femme soignante instruite.

En 1322, Jacqueline Félicie de Almania fut traînée devant la justice par la faculté de médecine de l’Université de Paris, sous l’accusation d’exercice illégal de la médecine. Elle n’était pas accusée d’être incompétente mais – en tant que femme – d’oser prodiguer des soins.

En 1581, le Collège des médecins réclamait le droit de réguler la pratique médicale à Londres. Les médecins dits « réguliers » tentèrent d’empêcher une guérisseuse, Margaret Kennis, d’exercer. Elle fut protégée par Élisabeth Ière. Ce furent d’ailleurs les professionnels de la médecine qui fournirent des témoignages d’experts aux tribunaux.

Les victimes de ces quatre siècles[1]1Du XIVe au XVIIe siècle de l’Allemagne à l’Angleterre. de chasse aux sorcières ne furent pas seulement les femmes torturées et exécutées, mais aussi toutes celles qui se trouvèrent en conséquence privées de leur savoir-faire de guérisseuses ou de sage-femmes.

« Comme l’écrit Richard Holmes à propos du grand botaniste anglais du milieu du XVIIIe siècle, Joseph Banks, son intérêt pour la botanique ‘‘le mit en contact avec des personnes qui auraient normalement dû être tout à fait invisibles à un lycéen privilégié d’Eton tel que lui. Il s’agissait des bonnes femmes des haies et des chemins de campagne, des herboristes bohémiennes qui collectaient les simples et les plantes médicinales. […] Elles formaient une tribu étrange mais dotée de grandes connaissances, qu’il apprit bientôt à traiter avec respect. » (p. 25)

« Le savoir des sorcières était si grand qu’en 1537, Paracelse, considéré comme le père de la médecine moderne, brûla son texte sur la pharmacologie, confiant qu’il ‘‘avait appris tout ce qu’il savait des sorcières’’ » (p. 56)

Tant qu’il était étudiant, un docteur voyait rarement un patient et aucune pratique expérimentale n’était enseignée. Les guérisseuses possédaient au contraire de véritables connaissances. Ainsi de l’ergot de seigle pour soulager les douleurs de l’accouchement, de l’usage de la belladone pour réduire les contractions utérines, utilisée de nos jours comme antispasmodique, ou de la digitale utilisée pour le traitement des maladies cardiaques.

Avant l’entrée en scène du docteur, les femmes travaillaient fréquemment avec leur mari. Il s’occupait de la chirurgie quand leur femme s’occupait de l’obstétrique et de la gynécologie. Tout le reste était partagé. À partir du XIXe siècle, les docteurs, qui avaient des liens étroits avec les classes dirigeantes en place, traitent la plupart des maladies par des mesures : saignées, laxatifs, calomel (laxatif contenant du mercure), et, plus tard, de l’opium. Les praticiennes et praticiens empiriques étaient sûrement plus efficaces.

La prise de contrôle active de la part des professionnels masculins a été possible grâce à l’intervention des classes dirigeantes que les professionnels masculins ont toujours servies, à la fois médicalement et politiquement.

« Leurs enjeux étaient grands : la monopolisation politique et économique de la médecine signifiait le contrôle de ses organisations institutionnelles, de sa théorie et de sa pratique, de ses bénéfices et de son prestige. Et les enjeux sont encore plus grands aujourd’hui, alors que le contrôle total de la médecine signifie le pouvoir potentiel de déterminer qui doit vivre et qui doit mourir, qui est fertile et qui est stérile, qui est fou et qui est sain d’esprit. » (p. 32)

Les chasses aux sorcières n’éliminèrent pas totalement les femmes guérisseuses des classes populaires, mais elles les étiquetèrent à jamais comme superstitieuses et possiblement malveillantes.

« Des praticiens masculins non professionnels, les barbiers-chirurgiens, menèrent l’assaut en Angleterre revendiquant une supériorité technique sur la base de leur utilisation du forceps obstétrical. (Le forceps fut classé légalement comme instrument chirurgical, et la loi interdisait aux femmes la pratique de la chirurgie.) Entre les mains des barbiers-chirurgiens, la pratique de l’obstétrique parmi la classe moyenne se transforma rapidement d’un service de voisinage en une activité lucrative, que les vrais médecins ne tardèrent pas à investir en force au XVIIIe siècle. » (p. 60)

Aux États-Unis, en 1830, treize États avaient voté des lois pour réglementer l’exercice de la médecine, qui instituaient les réguliers comme seuls soignants légaux. Des fondations furent créées pour être les instruments durables de cette intervention. Au XXe siècle, les fondations Rockefeller et Carnegie furent créées et l’une des questions les plus urgentes et primordiales de leur agenda fut la réforme médicale : la création d’une profession médicale respectable et scientifique aux États-Unis.

Soigner, dans son sens le plus plein, consiste à apporter à la fois des remèdes et des soins, à être docteur et infirmière. Les guérisseuses empiriques des temps anciens avaient combiné les deux fonctions et étaient estimées pour les deux. Avec le développement de la médecine scientifique et avec la profession médicale moderne, les deux fonctions furent irrémédiablement séparées.

Les métiers de docteurs et d’infirmières apparurent comme des fonctions complémentaires. Si l’infirmière était la femme idéalisée, le docteur était l’homme idéalisé, alliant l’intelligence à l’action, la théorie abstraite au pragmatisme terre à terre. Ces stéréotypes se sont avérés presque indestructibles.

De nos jours, en France, 78 % des travailleurs de santé sont des femmes, des ouvrières : employée de bureau, assistante diététicienne, technicienne, femme de ménage. Mais les chefs de service et professeurs universitaires sont, à 80 %, des hommes . Les infirmières ne sont que du personnel auxiliaire au service des médecins. Des domestiques en uniforme au service des professionnels masculins dominants. Les travailleuses de la santé sont limitées aux occupations de nourrices et de ménagères, une majorité passive et silencieuse.

La profession médicale a été conçue pour qu’une classe supérieure monopolise la santé et pour en exclure les femmes. Le métier d’infirmière n’est rien d’autre qu’un prolongement dans le monde du travail des rôles d’épouse et de mère, dociles, obéissantes, dévouées et passives.

Comme nous l’enseigne la chasse aux guérisseuses, il est stupide de séparer la lutte des classes de la lutte féministe. Ce n’est en effet pas un hasard si :

« Les chasses aux sorcières les plus virulentes coïncidèrent localement et dans le temps avec des périodes de grande agitation sociale faisant trembler le féodalisme sur ses bases – des conspirations et des soulèvements paysans de masse, les débuts du capitalisme, l’émergence du protestantisme. » (p. 39)

Monopole sur la santé et eugénisme

Aujourd’hui, la monopolisation politique et économique par une classe dominante sur la santé n’a jamais été aussi dangereuse. La crise du COVID prouve, s’il en est encore besoin, que des décisions politiques, justifiées par un discours sanitaire, peuvent mettre à l’écart de la société des personnes non vaccinées sans que cela inquiète la plupart des citoyens et des intellectuels :

  • en Autriche des mesures ont été prises pour interdire aux non-vaccinés de pouvoir acheter des cadeaux de Noël ;
  • en France, depuis 2021, les soignants non-vaccinés sont interdits de travail ;
  • en France, les non-vaccinés ont été interdits d’accéder à des soins et à des services dont des services publics pour lesquels ces citoyens paient des impôts ;
  • à Rotterdam des balles réelles ont été tirées contre des manifestants dénonçant les restrictions sanitaires.

Un article de Johann Chapoutot sur la manière dont les nazis ont éradiqué le typhus en Pologne expose les étranges ressemblances entre les décisions politiques de nos gouvernements et celles que les nazies ont mises en place avant d’exterminer les Juifs. Opportunisme ou manipulation de masse, l’histoire ne manque pas d’exemples pour nous confirmer que les dominants savent sciemment orchestrer notre dépossession – enclosures, chasse aux sorcières, etc. – et nous diviser entre bons citoyens et « nuisibles » : « La dure leçon de l’holocauste, c’est que, chaque fois que les médecins unissent leurs forces avec le gouvernement, la médecine humanitaire et bienveillante se transforme en un appareil meurtrier[2]2Entretien entre Vera Sharav et Reiner Fuellmich : https://www.profession-gendarme.com/Covid-19-entretien-avec-vera-sharav-rescapee-de-lholocauste/comment-page-1/.. »

Enfin, il me semble important de rappeler qu’en novembre 2020, des milliers d’animaux ont été éradiqués : « … après avoir découvert une série de mutations du virus transmis à l’humain par le vison, qui font craindre une efficacité réduite d’un potentiel vaccin contre le Covid-19, le gouvernement danois a décidé d’éradiquer l’ensemble de ses animaux d’élevage. » De tels massacres ne sont pas anecdotiques. Le sort des animaux, des femmes et de tous les dominés sont intimement liés. D’une part, parce que c’est en animalisant les opposants que génocides et eugénismes sont acceptés, d’autre part parce qu’expérimentation génétique et élevage sont indissociables. Dès 1881[3]3Francis Galton, un scientifique anglais, cousin de Charles Darwin, étudie l’hérédité et forge le terme eugénisme., inspirés et guidés par la reproduction des animaux domestiques, intellectuels et scientifiques proposent de transposer l’eugénisme pratiqué dans l’élevage aux humains[4]4Henry Friedlander, The Origins of Nazi Genocide : From Euthanasia to the Final Solution, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 1995.. Contrôle de la reproduction et stérilisation seront ainsi pratiqués sur les humains. En vue d’améliorer le pool génétique du peuple allemand, les nazis n’hésiteront pas, financés entre autre par la Fondation Rockefeller, à éliminer les membres “inférieurs” et les étrangers qui vivaient parmi eux[5]5Robert N. Proctor, « Nazi Biomedical Policies », in Arthur L. Caplan (dir.), When Medicine Went Mad : Bioethics and the Holocaust, Totowa (NJ), Humana Press, 1992, p. 27.. L’ idéologie eugéniste est toujours d’actualité comme en témoigne, par exemple, cet article  « Le Club des milliardaires tente de juguler la croissance démographique », du 24 mai 2009 qui a révélé la tenue d’une réunion secrète, le 5 mai à New York, à l’initiative de Bill Gates, de Warren Buffet, et de David Rockefeller :

« Un consensus a été trouvé concernant la ‘‘ surpopulation ’’ comme la cause des causes. Une stratégie a été mise en place ‘‘ dans laquelle la croissance démographique serait attaquée comme menace écologique, sociale et industrielle ’’. L’un des participants, Ted Turner, voudrait voir baisser la population mondiale de 95 %, selon une interview accordée à Audubon Magazine en 1996 : ‘‘ Une population totale de 250-300 millions de personnes, un déclin de 95 % par rapport aux présents niveaux, serait idéal. ’’[6]6Ariane Bilheran et Vincent Pavan, Le débat interdit – Langage, Covid et totalitarisme, éditions Guy Trédaniel »

Les dominants sont tout à fait capables de s’organiser en vue de maintenir et renforcer leurs privilèges. C’est pour cela qu’il est urgent de nous réapproprier les savoirs des guérisseuses, la médecine et la science, pour ne plus être dupes de ces discours qui divisent, de cette idéologie sécuritaire et sanitaire qui nous aliène.

Ana Minski

Relecture et corrections : Lola

References

References
1 1Du XIVe au XVIIe siècle de l’Allemagne à l’Angleterre.
2 2Entretien entre Vera Sharav et Reiner Fuellmich : https://www.profession-gendarme.com/Covid-19-entretien-avec-vera-sharav-rescapee-de-lholocauste/comment-page-1/.
3 3Francis Galton, un scientifique anglais, cousin de Charles Darwin, étudie l’hérédité et forge le terme eugénisme.
4 4Henry Friedlander, The Origins of Nazi Genocide : From Euthanasia to the Final Solution, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 1995.
5 5Robert N. Proctor, « Nazi Biomedical Policies », in Arthur L. Caplan (dir.), When Medicine Went Mad : Bioethics and the Holocaust, Totowa (NJ), Humana Press, 1992, p. 27.
6 6Ariane Bilheran et Vincent Pavan, Le débat interdit – Langage, Covid et totalitarisme, éditions Guy Trédaniel