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Des lecteurs nous ont demandé ce que nous entendions par « anarcho-primitivisme féministe ». Nous avons pensé qu’il serait peut-être bon de préciser la théorie politique que nous défendons, fruit de réflexions et de discussions, mais avant tout de recherches dans l’héritage intellectuel transmis par les courants politiques anarchistes, écologistes et féministes.

1. Bien que notre critique de la société actuelle soit plus radicale, nous nous revendiquons d’un anarchisme proche de celui de Pierre Kropotkine, Michel Bakounine et Emma Goldman. Nous pensons que :

  • la nature humaine pousse l’homme à vivre en groupes ;
  • pour vivre en groupe, certaines règles de vie communes doivent être respectées ;
  • les règles de vie commune dépendent de la culture de chaque groupe humain ;
  • la culture est à la fois matérielle (modes de subsistance du groupe, techniques nécessaires), politique (chefferie, royauté, république), idéelle (anthropocentrée, patrilinéaire, viriarcale) et spirituelle (animiste, totémique, chrétienne) ;
  • certaines cultures sont oppressives et destructrices, fondées sur la valorisation de la compétition, de l’agressivité et/ou du pillage, tandis que d’autres valorisent l’entraide, l’empathie, la douceur et l’équité ;
    • l’Anarchisme dénonce l’autoritarisme, la hiérarchie :
    • elle prône la liberté et l’autonomie des individus ;
    • vise à concevoir une culture qui respecterait un juste équilibre entre la vie collective et l’individu ;
    • combat toute forme de culture dont le mode de subsistance est fondé sur l’exploitation de l’homme par l’homme. ;

C’est donc logiquement que nous critiquons toute technique, tout mythe, toute idéologie participant à réduire les êtres humains en outils exploitables par d’autres êtres humains.

2. Nous nous revendiquons d’un anarchisme primitiviste différent de celui conceptualisé par John Zerzan[1]1Article à venir. Aussi, nous pensons que :

  • il n’est pas nécessaire d’idéaliser le Paléolithique pour critiquer les périodes qui lui succèdent ;
  • le matriarcat primitif est un mythe ;
  • les cultures indigènes doivent aussi être critiquables et le sont sous certains aspects ;
  • dès son origine, Homo sapiens est un être de raison et d’imagination ;
  • toutes les techniques employées par notre espèce doivent être analysées ainsi que leurs impacts ;
  • aucune technique n’est neutre, et certaines sont des techniques de domination ;
  • la domestication, en tant que contrôle de la reproduction pour obtenir des animaux dociles et adaptés à certains travaux, est une technique de domination puisqu’elle implique confinement, dressage, eugénisme ;
  • cet asservissement d’êtres sensibles, qui apparaît au Néolithique, est rendu moralement acceptable en écrasant notre empathie émotionnelle au profit d’une volonté de contrôle de notre subsistance ;
  • la banalisation et la généralisation de la domestication à toutes les formes de vie, y compris humaines, réduit toujours plus nos aspirations naturelles à la liberté ainsi que la vision que nous en avons ;
  • la domestication met en concurrence peuples pastoraux et peuples chasseurs-cueilleurs, animaux d’élevage et animaux sauvages :
    • elle participe à l’avènement de l’anthropocentrisme, de l’hubris, des hiérarchies et de la domination masculine ;
    • elle est à l’origine de l’expérimentation sur le vivant ;
    • elle a transformé la chasse en prédation, c’est-à-dire en pillage, elle est le premier stade du capitalisme[2]2Selon nous, le capitalisme est la marchandisation des êtres sensibles (animaux et êtres humains) – permise par leur transformation symbolique de sujet en objet (chosification) – par … Continue reading.

3. Nous nous revendiquons d’un féminisme proche de celui des féministes de la subsistance telles que Maria Mies et Veronika Bennholdt :

  • le capitalisme est un système économique fondé sur la compétition, l’agressivité, le pillage et la chosification du vivant ;
  • compétition et prédation (pillage) sont des qualités dites viriles attribuées aux mâles de notre espèce ;
  • la société capitaliste socialise les êtres humains selon leur sexe : la femme est considérée comme le sexe des émotions, l’homme celui de la raison ; la nature est considérée comme féminine ; nature et féminité, dénuée de raison, possédée par les émotions et le chaos, doivent être contrôlées et maîtrisées par l’homme viril ;
  • le capitalisme méprise l’autosubsistance au profit de l’artificialisation du monde ;
  • défendre notre droit à user de techniques démocratiques est une priorité, ainsi que celui d’interdire les techniques autoritaires et de domination ;
  • renouer avec notre autonomie alimentaire et politique également.

Nous affirmons que la vie sans la domestication était plus harmonieuse entre les êtres humains et dans leur relation à la nature. Nous n’irons cependant pas jusqu’à affirmer que la vie était parfaite. Les études ethnographiques des peuples indigènes chasseurs-cueilleurs ont montré qu’il existait des dominations au sein des groupes (domination masculine en particulier) et parfois des conflits entre les groupes. Mais cela pourrait s’expliquer par le fait que tous les groupes de chasseurs-cueilleurs contemporains ont été en contact avec la civilisation, et que cela a pu changer en parti leur imaginaire et leurs rapports sociaux[3]3Ana Minski, Sagesses incivilisées, sous les pavés la sauvageresse, M Éditeur.. En effet, les études archéologiques concernant le Paléolithique n’apportent aucune preuve permettant de confirmer l’existence de guerre et de hiérarchies, ni l’existence de rôles différents et asymétriques entre les sexes pendant le Paléolithique[4]4https://lesruminants.com/2021/09/26/le-communisme-primitif-n-est-plus-ce-qu-il-etait/.

Compte tenu du manque d’informations sur l’organisation sociale des chasseurs-cueilleurs n’ayant pas été en contact avec la civilisation, ils ne peuvent constituer un modèle pour nous. Néanmoins, ils sont une source d’inspiration à laquelle nous intégrons l’esprit et les propositions anarchistes et féministes. Ainsi, nous ne sommes pas réactionnaires, mais pour un progrès social[5]5Nous combattons, bien entendu, l’idéologie du Progrès (technophilie, développement, etc.) ; car nous souhaitons mettre en place un mode d’organisation sociale qui n’a probablement jamais existé.

Nous avons bien conscience qu’il est assez illusoire d’espérer que 7 milliards d’êtres humains puissent survivre et vivre dans les rares espaces naturels préservés. Mais il nous semble extrêmement important de dire ce que nous pensons être la vérité sur les causes de nos profonds problèmes de société, et ainsi de montrer une direction sur les solutions que l’humanité devrait y apporter. Que ce chemin d’émancipation sociale et de paix avec la nature soit pris petit à petit, ou qu’il s’impose brusquement comme une évidence et une nécessité, nous pensons qu’il est de notre devoir de transmettre les connaissances concernant notre passé et le présent, les valeurs défendues par les mouvements anarchistes et féministes, et les témoignages des peuples indigènes qui nous montrent qu’un autre monde est possible.

À notre connaissance, la seule organisation anarcho-primitiviste féministe existant actuellement est Écologie Radicale Incivilisée : https://ecologie-radicale-incivilisee.com/

Contactez-nous si vous voulez contribuer à développer la théorie et diffuser cette vision du monde.

Ana Minski

Relectures : William et Jordan

Corrections : Lola

References

References
1 1Article à venir
2 2Selon nous, le capitalisme est la marchandisation des êtres sensibles (animaux et êtres humains) – permise par leur transformation symbolique de sujet en objet (chosification) – par des exploiteurs (une société ou une classe sociale) qui tirent profit de leurs corps et de leur force de travail, en les privant de leur liberté de mouvement ou de leurs moyens de subsistance. Ces richesses seront accumulées puis capitalisées, dans une perspective de confort sans limites et de délivrance du travail et du lien social.
3 3Ana Minski, Sagesses incivilisées, sous les pavés la sauvageresse, M Éditeur.
4 4https://lesruminants.com/2021/09/26/le-communisme-primitif-n-est-plus-ce-qu-il-etait/
5 5Nous combattons, bien entendu, l’idéologie du Progrès (technophilie, développement, etc.)