Image de couverture : Le vertige, Spilliaert

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Marguerite Stern a été interviewée par la chaîne youtube Le livre noir.

Accepter une interview dans un média de droite – voire d’extrême droite – n’est pas rédhibitoire en soi. Il est parfois nécessaire d’être capable d’échanger avec nos adversaires politiques pour connaître leurs arguments, leurs procédés rhétoriques, exposer ses propres arguments pour, éventuellement, convaincre ceux de l’autre camp. Ce qui est ici critiquable, c’est le message qu’elle transmet et son désir de faire alliance avec une idéologie qui vise à maintenir les hiérarchies, la xénophobie, le racisme et l’oppression des femmes.

Plusieurs points de cette interview sont problématiques et faux :

1. Marguerite Stern se présente comme une féministe radicale censurée pour ses positions sur la question du transgenrisme et l’Islam. Elle serait aujourd’hui enfin libre de tout dogmatisme. Si Marguerite Stern a, en effet, été victime d’attaques de la part des transactivistes, elle n’est pas pour autant ostracisée par les féministes. Elle travaille en collaboration avec Dora Moutot, elle-même proche de certaines personnalités d’extrême-droite, et toutes deux sont malheureusement soutenues par de nombreuses associations féministes. Parce qu’elles permettent de rendre plus visible la lutte contre le transactivisme, leurs dérives idéologiques sont acceptées et minimisées aux dépens de celles qui privilégient la vérité et la cohérence politique à la quête de visibilité.

2. Au cours de cette interview, Marguerite Stern ne cite aucune féministe. Elles sont pourtant nombreuses à lutter, et ce depuis plusieurs décennies, contre le transactivisme, la pornographie, la prostitution, la pédocriminalité et pour la dignité et l’intégrité des femmes. Elle dit ne plus les lire parce qu’elles ne lui apprennent rien. C’est bien dommage, si elle s’en était donné la peine, elle aurait dit moins de bêtises. Elle saurait que des femmes ne l’ont pas attendue pour lutter contre le transactivisme, contre l’infiltration des groupes féministes par les mouvements queers et intersectionnalistes.

Visiblement, l’histoire et l’origine du féminisme lui importent peu. Aussi s’est-elle bien gardée de développer les différences entre le féminisme (radical) et le « féminisme » libéral et intersectionnel. Ce dernier, qui n’est pas du féminisme, est entre les mains d’hommes qui défendent l’industrie du sexe (STRASS), le transactivisme et l’inclusivité[1]1L’inclusivité impose d’accepter des trans femmes (c’est-à-dire des hommes qui s’identifient femme) dans les espaces non-mixtes dédiés aux femmes : toilettes publiques, prison pour … Continue reading, l’hypersexualisation, la pédocriminalité (sous prétexte d’éducation sexuelle des enfants, entre autres). Elle s’est bien gardée de dire que TOUTES les féministes radicales subissent la censure et les menaces, que toutes sont accusées d’être transphobes, putophobes[2]2Pour comprendre les conséquences catastrophiques de la prostitution sur les enfants, les femmes et la société en général, j’invite le lecteur à visiter les sites Mouvement du nid et … Continue reading, islamophobes, racistes, par les transactivistes et les intersectionnelles. Elle n’a pas daigné non plus rendre hommage à toutes les féministes et associations qui luttent sur le terrain pour défendre les femmes. Ce militantisme 2.0, indifférent à l’histoire des mouvements, avait déjà été dénoncé par Christine Le Doaré, autrice de l’essai Fractures ! :

«  (…) les jeunes générations semblent peu s’intéresser à l’Histoire, aux témoignages et enseignements des militantes plus âgées et toujours actives. Même lorsqu’on les interpelle, notamment sur les RS en suggérant qu’elles ne sont pas vraiment si précurseuses que ça, ou en leur conseillant de lire un livre, elles ne daignent pas répondre. Pourquoi ? Sentiments d’urgence et d’immédiateté mêlés au besoin de se croire individu auto-suffisant et unique ? Incapacité à entendre les autres, toutes à leur souffrance et à la violence des attaques subies, notamment sur les RS ? En tous cas, la volonté d’échanger et d’apprendre des autres semble bien être absente.[3]3https://christineld75.wordpress.com/2021/12/29/a-marguerite-et-aux-autres/ »

Cet individualisme est malheureusement propre à une culture narcissique qui fait de nos luttes un spectacle continuel, spectacle qui s’est accentué avec l’hégémonie des réseaux sociaux.

3. Plutôt que de citer le travail d’autres femmes, Marguerite Stern a préféré faire l’éloge d’un masculiniste, Julien Rochedy. Ce choix prouve la faiblesse morale et intellectuelle de Marguerite Stern. Elle a préféré rejeter le féminisme et la gauche plutôt que de dénoncer leur sabotage par des politiciens et des militants, souvent immatures et irrationnels.

La gauche est un mouvement révolutionnaire qui lutte contre un système économique (le capitalisme) fondé sur l’objectivation des humains et du vivant. Pour cela, elle doit viser à l’autonomie matérielle et intellectuelle de chacun en luttant contre l’oppression, l’exploitation, l’aliénation et l’illusion idéologique. Ses grands principes sont la laïcité (séparation de la religion et de l’État) et l’universalisme (qu’il ne faut pas confondre avec l’ingérence). Elle utilise la raison pour comprendre la société, ses mécanismes d’oppressions et trouver les moyens d’en sortir pour fonder une société avec de meilleures valeurs communes et qui permettent l’autonomie de chacun. Les partis politiques tels que la France insoumise, la plupart des médias tels Libération, ne sont pas de gauche. Ils ne luttent ni pour mettre fin au capitalisme ni pour l’autonomie de chacun. Ce sont des technocrates qui mènent, sournoisement ou inconsciemment, une guerre contre la nature et la biologie. Le progressisme technologique de partis et groupes considérés à tort comme de « gauche » ne visent qu’à instaurer un paradis terrestre dans lequel quelques hommes – une élite politique, financière et mafieuse – vivraient par-delà les limites qu’impose notre condition humaine. La majorité des groupes post-anarchistes actuels ont également relégué la lutte collective pour favoriser la lutte individuelle, le fameux « c’est mon choix », et ont ainsi sombré dans le post-modernisme, un relativisme culturel absolu et dogmatique qui refuse toute forme de réalité biologique et naturelle. C’est dans ce courant que s’inscrit le transactivisme.

Le féminisme a également été saboté de l’intérieur par ces mêmes courants technocrates et progressistes. Dès son origine, le féminisme vise l’émancipation des femmes, il ne peut donc être qu’universaliste, abolitionniste de la pornoprostitution, contre la pédocriminalité et la traite humaine en vue de l’exploitation sexuelle et reproductive. Le féminisme combat la culture de l’agression sexuelle et la socialisation genrée qui hiérarchise les sexes, infantilise et infériorise les femmes. Le féminisme se bat pour l’intégrité et la dignité des femmes. Un mouvement ou un parti qui prône la GPA ou toute autre technique exigeant l’objectivation des unes au bénéfice des autres ne peut être ni féministe ni de gauche.

La soit-disant « gauche dominante » n’est donc qu’une idéologie prônant le libre choix individuel au lieu de la compréhension des mécanismes d’oppressions, leur réalité matérielle, symbolique, collective et mondialisée.

4. En ce qui concerne le fait qu’elle envisage la possibilité de causes « biologique » pour expliquer les violences commises par des étrangers d’Afrique, nous rappellerons que les anthropologues et les généticiens ont, depuis longtemps, prouver que le concept de race est une catégorie non valide et que les comportements sociaux violents sont le fait d’un système de classes, et non d’une différence biologique.

Les violences envers les femmes commises dans les pays du Maghreb, du Moyen orient, de l’Afrique de l’est ont des causes historiques, culturelles et politiques qui mériteraient d’être développées dans un prochain article. Ceci étant dit, elle insiste sur la violence des Maghrébins en France en balayant de la main la colonisation et ce qu’elle implique d’un point de vue social, économique, symbolique et psychologique.

L’immigration est un sujet trop sérieux pour l’abandonner à l’extrême droite. Portugais, Italiens, Espagnols ont travaillé dans le bâtiment, Algériens, Marocains, Tunisisiens, aussi. Les violences actuelles sont le fait d’une nouvelle génération qui a grandit dans des conditions sociales bien particulières. En effet, il n’est pas possible de comprendre le virilisme spécifique aux cités sans prendre en compte la culture du gangsta-rap dans laquelle baignent ces nouvelles générations. La culture américaine, son culte pour les grands criminels mafieux, est valorisée via la musique mais aussi le cinéma. La corruption des hommes politiques et de la police participe aussi à maintenir cette culture du banditisme et du proxénétisme. L’école publique et la connaissance sont au contraire méprisées. Pour mieux comprendre le phénomène de virilisation dans les cités, j’invite le lecteur à écouter les témoignages de Sikou Niakate disponible sur internet. Nous retrouvons ces mêmes conditions dans les pays d’Amérique latine où les violences sont extrêmes et qui détiennent le record du nombre de féminicides.

D’autre part, la volonté politique de déléguer certains quartiers aux Imams, dont beaucoup sont du courant intégriste wahhabite, a eu pour conséquence l’abandon de populations entières à l’intégrisme religieux. Ces quartiers ont été abandonnés par les associations et l’État, et confiés aux Imams après les émeutes de 2005. Dans certains quartiers, les Imams surveillent les filles dans les rues et rapportent aux parents et aux grands-frères leurs « inconduites[4]4https://serenadechafik.wordpress.com/presentation/ ». De nombreuses mères, confinées dans la sphère domestique, n’ont aucune connaissance de leurs droits et, bien que vivant en France depuis des décennies, n’ont jamais appris le français. Malgré tout, certaines d’entre elles ont constitué des collectifs (Femmes sans voile d’Aubervilliers) pour lutter contre les stéréotypes véhiculés à la fois par la « gauche dominante » et l’extrême droite. Ces stéréotypes qui qualifient d’arabo-musulmans tous les maghrébins, ignorants le fait que tous ne sont pas musulmans, qui laissent croire que tous les musulmans sont pour le voilement des femmes alors que, au contraire, la majorité ne le sont pas, ne sont pas contre la laïcité non plus ni contre la liberté d’expression, et qui laissent croire que les parents sont démissionnaires. Pour mieux connaître les conditions dans lesquelles l’islamisme wahhabite s’est infiltré dans les cités, je ne peux que conseiller le travail de la féministe Sérénade Chafiq.

Les analyses sociologiques rendent compte des raisons pour lesquelles une partie de la population est réduite à n’être qu’un vivier pour le banditisme et le proxénétisme. Ce sont les politiques de droite qui maintiennent la séparation des classes, mais aussi celle des différentes populations, y compris les immigrés. Les politiques d’immigrations de masse sont intimement liées au développement du capitalisme et de sa mondialisation. Les politiques de la « gauche dominante » et l’intersectionnalisme participent également à fragmenter la société : les blancs tous colonisateurs et privilégiés contre les immigrés et racisés. La réalité historique et sociale est plus complexe. Quant à la délinquance de ceux d’en bas, elle est bien souvent une conséquence de la gestion mafieuse de ceux d’en haut. C’est pour toutes ces raisons que la gauche combat le capitalisme et son système de classes, ce que Marguerite Stern n’évoque jamais.

Refuser de prendre en compte l’ensemble des réalités historique, culturelle, sociale et économique des différentes populations immigrées qui vivent en France est le propre de la xénophobie et de l’extrême droite. Ce qui est incompatible avec le féminisme et la gauche.

5. Le relativisme culturel qui s’est propagé dans les milieux de gauche et les ont subvertis, amène à considérer toute morale, toute obligation instituée, y compris laïque, comme totalisante et dogmatique. L’éthique devient ainsi une affaire subjective individuelle et la liberté est réduite à une question de choix personnel et de croyances. Ce qui est aujourd’hui célébré n’est pas la libération des femmes et l’autonomie mais le « droit de choisir ». Ce « féminisme du choix » ne prend pas en compte le fait que nous sommes façonnées et limitées, en tant que femmes, par les conditions indignes dans lesquelles nous vivons. Ce « féminisme » est surtout utile pour interdire toute critique conséquente de l’exploitation sexuelle et reproductive, les violences sexuelles, religieuses, etc.

C’est du fait de cette opinion, le droit du libre choix, que les féministes qui souhaitent interdire le voilement des mineures et critiquent le voilement des femmes sont accusées d’islamophobie. Ce débat mérite pourtant d’avoir lieu pour qu’il ne soit plus instrumentalisé par l’extrême droite et par une « gauche dominante » qui, sous couvert d’inclusivité, méprise la liberté d’expression et la capacité raisonnante des individus. Sous prétexte que les populations d’origine maghrébines souffrent de xénophobie il est devenue impossible de critiquer l’islam. Pourtant, la critique d’une religion quelle qu’elle soit n’est ni xénophobe ni raciste.

D’une certaine manière, les militants intersectionnels, en prenant systématiquement la défense de l’islam sous prétexte de lutter contre le racisme, infantilisent les français d’origine musulmane et les musulmans comme s’ils étaient incapables de comprendre que certaines positions sont dangereuses pour les mineures, pour les femmes mais aussi pour la liberté d’expression.

6. En ce qui concerne son récit sur la domination masculine, dans lequel elle parle du Paléolithique, de Neandertal, de sapiens, de l’avènement de l’agriculture, je renvoie à mes différents articles et à mon essai. Je me contenterais de rappeler brièvement que rien ne prouve la responsabilité de sapiens dans la disparition de Néandertal, qu’aucune preuve archéologique ne permet d’affirmer l’existence d’une quelconque domination masculine au Paléolithique, que la domestication des bovidés et ovins est par contre à l’origine de l’avènement et/ou du renforcement de la domination masculine et des civilisations.

7. Enfin, les milieux animalistes utilisent le concept de femellisme depuis plusieurs années pour exposer les similitudes entre l’exploitation des mammifères femelles domestiquées et les femmes. Il est en cela un concept important au sein des luttes féministes mais ne doit pas remplacer le féminisme. Nous sommes des femelles humaines, nous sommes le sexe qui porte les enfants et les allaite, pour autant, remplacer le féminisme par le femellisme n’est pas souhaitable. Cela réduit la lutte des femmes à leur biologie. Les mots sont importants. Le mot « féminisme », en dehors du fait qu’il a une histoire que nous ne souhaitons pas renier, est plus adapté pour rendre compte du fait que nous sommes aussi un sexe social. Nous ne souhaitons pas être réduite à notre femellité, et nous souhaitons défendre certaines qualités attribuées au genre féminin et qui ont trop longtemps été méprisées : douceur, empathie, sensibilité, etc. Réhabiliter la maternité ne doit pas prendre le dessus sur la critique de la socialisation genrées qui valorisent des qualités masculines agressives et écrasent les femmes. Les qualités telles que la raison, le courage, l’empathie, la douceur, la tempérance, n’ont pas de sexe, ce sont des qualités humaines. Une société digne de ce nom se doit d’aider chaque être humain à les développer.

Marguerite Stern dit que l’enfantement « est le pouvoir de la femme ». Expression présente chez de nombreuses écoféministes et essentialistes, mais aussi chez les masculinistes qui considèrent que la femme a pour essence le maternage, ce qui est remis en cause par les recherches historiques et anthropologiques[5]5https://www.radiofrance.fr/franceinter/l-instinct-maternel-une-vaste-supercherie-finalement-assez-recente-5228908. L’enfantement n’est pas un « pouvoir » mais une simple réalité biologique. La grossesse n’est certes pas oppressive en soi mais c’est une des principales causes de l’oppression des femmes dans le monde entier et ce pour diverses raisons : jalousie de certains hommes qui souhaiteraient enfanter, contrôle de la descendance, désirs eugénistes, etc. De nombreuses féministes sont elles-mêmes des mères, et c’est à ce titre qu’elles dénoncent, en connaissance de causes, les violences obstétricales et luttent pour bénéficier de meilleures conditions afin de prendre soin de leurs enfants sans être pour autant confinées dans la sphère domestique.

Les recherches féministes tentent de comprendre les différences liées au sexe, tels que l’agressivité ou l’empathie, et dans quelle mesure la culture est capable de les modifier, les corriger ou les accentuer.

Contrairement à Marguerite Stern, les féministes combattent la xénophobie, le racisme, luttent pour l’émancipation des femmes et contre une culture qui valorise le pillage, l’agressivité et le mensonge.

Pour conclure, Marguerite Stern, certainement pour accroître son nombre de lecteurs, donateurs et soutiens, et pour donner du sens à sa vie a été ingrate. Elle a participé à caricaturer les féministes, a les décrédibiliser. Il est regrettable que Marguerite Stern ait pris la parole pour parler davantage d’elle-même que du féminisme, et que la violence dont elle a été victime l’ait poussée vers le camp dans lequel les transactivistes souhaitent enfermer les femmes qui refusent leur idéologie : celui de la domesticité.

Ana Minski

Relecture : William

Corrections : Lola

References

References
1 1L’inclusivité impose d’accepter des trans femmes (c’est-à-dire des hommes qui s’identifient femme) dans les espaces non-mixtes dédiés aux femmes : toilettes publiques, prison pour femmes, lieux d’accueil pour femmes battues, espaces lesbiens, groupes de paroles non-mixte, etc.
2 2Pour comprendre les conséquences catastrophiques de la prostitution sur les enfants, les femmes et la société en général, j’invite le lecteur à visiter les sites Mouvement du nid et Ressources prostitution.
3 3https://christineld75.wordpress.com/2021/12/29/a-marguerite-et-aux-autres/
4 4https://serenadechafik.wordpress.com/presentation/
5 5https://www.radiofrance.fr/franceinter/l-instinct-maternel-une-vaste-supercherie-finalement-assez-recente-5228908