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Les éditions Ypfilon ont publié récemment un recueil des œuvres d’Alejandra Pizarnik. Poèmes et proses ont été traduits par Jacques Ancet.
SOMMAIRE
La dernière innocence (1956)
Les aventures perdues (1958)
Arbre de Diane (1962)
Les travaux et les nuits (1965)
Extraction de la pierre de folie (1968)
La comtesse sanglante (1971)
L’enfer musical (1971)
Alejandra Pizarnik est née près de Buenos Aires le 29 avril 1936, dans une famille d’immigrants juifs de Galicie, émigrée en 1934.
Elle ne peut et ne veut qu’écrire ses rêves. Reconnue, admirée, dès la parution de son premier recueil à l’âge de 19 ans, elle mène une vie littéraire et sociale importante, se liant avec des poètes et surtout avec sa grande amie, cette sœur tant recherchée, Olga Orozco.
Entre 1960 et 1964, elle vit à Paris où elle est pigiste pour un journal espagnol et écrit dans plusieurs journaux et revues. Elle se lie d’amitié avec André Pieyre de Mandiargues, Octavio Paz, Julio Cortazar, Yves Bonnefoy, Henri Michaux… Elle traduit aussi des poètes comme Artaud, Michaux, Aimé Césaire, Yves Bonnefoy. Elle est partie prenante de la vie littéraire parisienne. Pourtant en 1964, elle rentre à Buenos Aires, alors qu’elle était venue « pour s’en sortir ».
Sa vie se déroulera alors dans sa minuscule chambre où était épinglée cette phrase d’Artaud :
« Il fallait d’abord avoir envie de vivre ».
Poète mystique sans dieu, elle aura parlé comme la nuit, avec terreur et innocence. Ses invocations amères nommerons ce qui n’est pas visible, ce qui n’existe pas. L’omniprésence de la mort et de l’absence recouvrent ses mots d’un voile noir qui nous happe par-delà la vie.
« Ne pas oublier de se suicider. Ou trouver au moins une manière de se défaire du je, une manière de ne pas souffrir. De ne pas sentir. De ne pas sentir surtout » écrira-t-elle dans son Journal, le 30 novembre 1962.
Après des tentatives de suicide en 1970 et 1971, elle passe ses cinq derniers mois dans un asile psychiatrique. Imbibée de drogues, de cigarettes et d’alcool, la phase de désintoxication lui est très douloureuse. Rentrée chez elle, rue Montevideo, pour le week-end, elle avale une dose massive de psychotropes et meurt le 25 septembre 1972 à l’âge de 36 ans.
CHOIX DE TEXTES
FILLE DU VENT
Ils sont venus.
Ils envahissent le sang.
Ils sentent la plume,
le manque,
les pleurs.
Mais toi tu alimentes la peur
et la solitude
comme deux petits animaux
perdus dans le désert.
Ils sont venus
incendier l’âge du rêve.
Un adieu, voilà ta vie.
Mais toi tu t’étreins
comme le serpent fou de mouvement
qui seul se trouve lui-même
parce qu’il n’y a personne.
Tu pleures sous tes pleurs,
tu ouvres le coffre de tes désirs
et tu es plus riche que la nuit.
Mais il fait tant de solitude
que les mots se suicident.
(Les aventures perdues, 1958)
CENDRES
Nous avons dit des paroles,
des paroles pour réveiller les morts,
des paroles pour faire un feu,
des paroles pour pouvoir nous asseoir
et sourire.
Nous avons créé le sermon
de l’oiseau et de la mer,
le sermon de l’eau,
le sermon de l’amour.
Nous nous sommes agenouillés
et avons adoré de longues phrases
comme le soupir de l’étoile,
des phrases comme des vagues
des phrases comme des ailes.
Nous avons inventé de nouveaux noms
pour le vin et pour le rire,
pour les regards et leurs terribles
chemins.
Moi à présent je suis seule
– comme l’avare délirante
sur sa montagne d’or –
et je lance des paroles vers le ciel,
mais je suis seule
et je ne peux dire à mon aimé
ces paroles qui me font vivre.
(La dernière innocence, 1956)
LA NUIT
J’en sais peu sur la nuit
mais la nuit semble en savoir sur moi,
et plus encore, elle m’assiste comme si elle m’aimait,
elle me couvre la conscience de ses étoiles.
Peut-être la nuit est-elle la vie et le soleil la mort.
Peut-être la nuit n’est-elle rien
et les conjectures sur elle rien
et les êtres qui la vivent rien.
Peut-être les mots sont-ils la seule chose à exister
dans l’énorme vide des siècles
qui nous griffent l’âme de leurs souvenirs.
Mais la nuit doit connaître la misère
qui boit notre sang et nos idées.
Elle doit jeter de la haine sur nos regards
les sachant pleins d’intérêts, de conflits.
Mais il se trouve que j’entends la nuit pleurer dans mes os.
Son immense larme délire
et crie que quelque chose est parti pour toujours.
Un jour nous recommencerons à être.
(La dernière innocence, 1956)
PETIT JOUR
Nu, rêvant d’une nuit solaire.
J’ai traîné des jours de bêtes.
Le vent et la pluie m’ont effacé
comme un feu, comme un poème
écrit sur un mur.
(Les travaux et les nuits, 1965)
SILENCES
La mort toujours à côté.
J’écoute ce qu’elle dit.
Je n’entends que moi.
(Les travaux et les nuits, 1965)