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Tyrans (par Abel Tocallu)
Dans un monde où les bourgeois avides usent de leur autoritarisme pour quelques billets de plus, où la domestication de tous n’amène qu’à la jouissance de quelques-uns, les tyrans capitalistes dominent une planète asphyxiée d’un trop plein.
De notre naissance à notre mort, nous ne nourrissons que les dominants. Leur surproduction et notre consommation ne permettent qu’une existence d’esclave sans conscience, où la peur de la pauvreté, nous fait haïr les réfugiés. Aux règnes des fous, les borgnes sont rois… Nous nous aveuglons.
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Notre esclavage numérisé fait apparaître des cicatrices qui s’hybrident. Les inégalités explosent tandis que nos pensées s’oxydent. Notre servitude volontaire, de plus en plus pressurisée, fait jaillir au sein de la méga-machine des dissonances cautérisées.
Notre système occidental se décompose de l’intérieur. Ce compost géant, où l’on jette les opprimés, entasse dans des pôles mégalos une humanité surveillée, aseptisée, lyophilisée. À l’abri de la nature les civilisés se retrouvent seuls avec leurs peurs… Nous pourrissons.
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Au sein de ces villes cancéreuses, où la mélancolie, les troubles psychiques et la dépression font bondir exponentiellement les statistiques, la rationalité des indicateurs financiers panique. La matrice s’effrite ; la haute fréquence des algorithmes domine les soi-disant architectes naviguant sur le cash-flow
Tels des naufragés à fond de cale, nous agonisons de cris sans échos. À travers un chant incessant d’informations contradictoires, nos voix, couvertes par les sirènes, sont dévoyées, étouffées. L’écrasement du monde extérieur nous oblige à n’être que des rats… Nous coulons.
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La puissance mécanique nous aura américanisés, le progrès par la guerre nous aura atrophié. Notre imagination s’efface avec les nuages, pendant que l’aviation met le ciel en cage. Les techniques autoritaires et l’expertise de la science nous amènent vers un terminal robotisé. Une fois le dernier portique passé, plus moyen de se retourner ; tout y sera enregistré.
La vie sur terre, dans cette société de nasse, ne se résume finalement qu’à produire des camelotes et des clients. L’horloge et la machine définissent, sans échappatoires, le temps où nous sommes. Nous sommes déshumanisés, anesthésiés par les écrans. Tel des lapins blancs sous gyrophares, des moutons noirs sans affolements, notre physiologie sociale nous accable… Nous suffoquons.
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Nous poursuivons, sous vitamines ou kétamines, une vie dégénérée au rythme des innovations. Notre séquençage fait muter notre ADN, sans visage est la domination. L’accumulation des vérités et découvertes n’est plus commune ; la science sans conscience se paye le luxe de notre âme.
La fatalité est notre enfer, la fournaise est notre tableau. Barbouillée à la face du monde, la fortune des empires fait miroiter les saltimbanques par milliards, pour des milliards. La période est bleue, notre Terre est en feu. Le monde va finir… Nous nous effondrons.
Qu’est que le monde civilisé a désormais à faire sous le ciel ?
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Aux désordres des bouffons, aux lois républicaines scélérates, aux institutions sans morale, nous nous devons de dire non. Par notre existence digne et notre refus de parvenir, nous embarquons, avec l’espoir de dépasser la peur. Sous le bruit des goélands, nous nous écrions : vive la commune, à bâbord toute ! Et nous irons, à travers les ruines herbues de notre civilisation, chercher notre pâture, un fusil à la main.
Les tyrans entaillent nos entrailles, avilissent nos cœurs et jugent illicite tout état sauvage. Ils interdisent aux citoyens qui ne feront pas fortune, une juste égalité. Ils nous traitent comme des animaux et, légitimant l’illégalité, nous rendent victimes d’impitoyables lois. Sans résistance, nous périrons par où nous avons cru vivre, qu’importe où vont les consciences, pourvu qu’il y ait l’avarice. Alors… Nous voguons.
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Ces maîtres du monde mécanisés, bêtes, médiocres et transcendés, profitent de la faillite collective, pour nous préparer un travail de meccano humain, une vie de termites. La civilisation industrielle nous enterre, elle détruit la vie. À ces contremaîtres galonnés, répondons donc par notre solidarité et faisons volte-face en dansant au sein d’une révolution colorée.
Alors ces aveugles aux débris tenaces, nous préparant un monde en noir et blanc, verront surgir les éclats de nos vies entêtées, éblouissant leurs en-dedans. Notre lueur oscille au sein de leurs ténèbres, notre nuit s’illumine dans l’ombre de leur trône… Nous scintillons.
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Oh jeunesse joyeuse et vive ! Enfance chatoyante au présent ardent ! Le bûcher de notre passé est le flambeau de notre avenir ! Barricades et volonté acérée briseront ces tyrans assoiffés ! … Et nous célébrerons.
La liberté.
« Nous tous qui souffrons et qu’on outrage, nous sommes la foule immense, nous sommes l’océan qui peut tout engloutir. Dès que nous en aurons la volonté, un moment suffira pour que justice se fasse. » Aux jeunes gens – Pierre Kropotkine – Les Temps Nouveaux – 1904
Abel Tocallu
Les maîtres du jeu (par Ana Minski)
Ils se tiennent droit et nous assènent : « on récolte ce que l’on sème » ou « on ne va pas s’entendre » ou encore « votre hostilité vous perdra », dès qu’on ose un tant soit peu élever la voix.
Les maîtres du jeu sont sûrs de leurs droits et de leur raison. Ils nous interdisent l’emploi de certains mots, de certaines expressions, de certains gestes. Ils nous interdisent certaines sympathies, émotions, fréquentations.
La bienséance, la politesse, la dignité, sont les carcans qu’ils nous imposent. Il nous faut être raisonnables, disent-ils, ce qui signifie les respecter et éviter de les contredire. Dès qu’ils le peuvent, ils nous contrôlent, nous surveillent, nous espionnent, nous pistent. La violence dont nous sommes victimes est toujours minimisée, occultée. Les mythes et leurs symboles sont là pour y veiller.
Ce sont eux qui érigent les règles et les devoirs. Ils n’hésitent d’ailleurs pas à user de leur pouvoir pour nous remettre à notre place. Osez donc atteindre leur orgueil, et ils vous piétineront !
Une fois à terre, le cœur et l’esprit tuméfiés, iI est difficile de se relever sans garder des séquelles.D’autant que les larbins n’hésiteront pas à nous envoyer leurs crachats. Les moins cruels se contenteront de nous donner des conseils avant de nous tourner le dos. « L’important », diront-ils, « est de garder la tête haute ». C’est que la tête haute c’est utile pour se maintenir hors de l’eau. Les plus lâches, quant à eux, feront comme s’ils n’étaient pas là.
Les blessures importent peu, pour les maîtres du jeu, mieux vaut même les garder à vif pour les titiller si nécessaire.Il serait dommage de perdre trop rapidement un jouet. La tête haute, en effet, c’est utile pour se maintenir hors de l’eau.Un punching-ball vivant, rien de plus divertissant.
Aussi, ce qu’ils désirent vraiment nous inculquer, c’est l’acceptation de toutes les atrocités, sans jamais nous plaindre, ni nous donner en spectacle, ni faire d’esclandre. Ce qu’ils nous enseignent, c’est à tendre l’autre joue, jusqu’à nier l’existence de nos corps et des esprits uniques et libres qui les animent.
S’ils le pouvaient, ils nous grefferaient des œillères et des mors, pour être bien sûrs que nous ne glorifierons que leurs lâchetés, leurs cruautés, leurs erreurs, leurs dissonances, leurs naufrages. Pour mieux y parvenir, ils prétendent nous aider, nous éduquer, nous soigner, nous protéger.
En vérité, ils détruisent notre imagination et toute forme de vie qui s’éloigne de leurs principes. En vérité, ils nous encagent et nous consomment. Voraces, ils nous vident de notre substance intellectuelle, sexuelle, morale, charnelle.
Les plus policés s’attaquent à nos sentiments : « Hystérique », « Manipulatrice », « Vicieuse », « Autoritaire », « Harceleuse », « Erratique »… Les plus francs font moins de manière : « Sac à viande », « Vieille carne », « Vache laitière »…
Le « bouc émissaire », animal sacrifié pour assouvir frustration et cruauté, est bien souvent qualifié de nuisible, et son genre est féminin.
Le « bouc émissaire » devrait se nommer « Pornocratès ». La truie et la femme, toutes deux femelles entravées, apprêtées, bâillonnées, réifiées, sexualisées, violées, battues, pour assouvir la seule jouissance du mâle « alpha » : la domination.
Notre destin est lié à celui des animaux domestiques, des animaux dits « sauvages » qui vivent dans des réserves et des zoos, que les maîtres du jeu confinent, asservissent, nourrissent, égorgent, dépècent et consomment chaque jour.
Maîtres des gynocides modernes, indifférents aux castrations, aux cris de souffrance, aux battues inutiles, ils se disent appartenir au règne animal dès qu’il s’agit d’approuver une mise à mort.
Les maigres étalons cognent les box.
Les dociles taureaux sont attachés.
Des milliers de mâles sont castrés.
Les veaux et les agneaux sont égorgés.
Vaches et poules exploitées,
Cerfs, sangliers, girafes, tigres, zooifiés, taxidermisés.
Maisons closes, prisons, enclos se multiplient.
La meute hurle dans les chenils.
Les maîtres du jeu seuls possèdent la clé.
Décident quand et comment éradiquer les nuisibles.
Ils sont l’hégémonie conquérante.
Les plus raffinés d’entre eux mystifient les floraisons aux dépends de la chair. Mais eux-mêmes suent, pissent, vomissent, puent, chient, vieillissent… Ils s’imaginent plus aptes, plus intelligents, plus raisonnables. Fantasment la sauvagerie de leur chien-loup, méprisent la brute entravée et mesurent le poids convenable de notre empathie. Ils ont simplement été dressés pour dresser et ils appliquent la leçon sans remord.
Pour celles et ceux qui sentent la peur, la douleur et le sang des bêtes, qui privilégient la liberté au romantisme de la domination, au symbolisme de la domestication, aux mensonges de la traque, de l’encagement et de la mise à mort, aux analogies gynocidaires…
Il est encore possible de fuir ou d’affronter les maîtres du jeu.
Les deux actions se complètent et sont nécessaires.
Ana Minski
Relecture et correction : Lola