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Illustration de couverture : Boucle, Pieter van
Texte publié dans la revue Behigorri n°5
Le poulet est l’animal le plus consommé au monde[1]1https://volaille-info.fr/2022/02/01/la-france-parmi-les-leaders-europeens-de-la-production-de-volailles/. La France est le premier consommateur européen de chair de poulet, deuxième viande la plus consommée en France[2]2https://www.capital.fr/conso/les-francais-premiers-consommateurs-en-europe-de-poulet-1461190. La consommation de poulets et d’œufs de poule ne cesse d’augmenter[3]3https://www.franceagrimer.fr/fam/content/download/66996/document/NCO-VIA-Consommation_viandes_France_2020.pdf?version=2. En 2022, la France est un des premiers pays producteur d’œufs[4]414,4 milliards soit 896 000 tonnes de l’Union Européenne, avec l’Allemagne et l’Espagne[5]5https://oeuf-info.fr/infos-filiere/les-chiffres-cles/.
L’élevage pour la consommation des œufs, des poulets et des coqs implique la castration, la séquestration, le contrôle de la reproduction, l’apartheid sexuelle, l’engraissement, le broyage des poussins, etc. Malgré l’évidence, à savoir que toutes ces techniques sont cruelles, certains auteurs et médias n’hésitent pas à écrire que la domestication du coq sauvage a permis aux poules de « conquérir », voire de « dominer », le monde[6] … Continue reading.
Cette inversion qui transforme l’animal domestiqué en conquérant est propagée par les milieux universitaires et intellectuels. Aussi, certains chercheurs tel que Charles Stepanoff, affirment que les recherches paléobotaniques actuelles « envisagent l’intérêt du blé dans son alliance mutualiste avec les agriculteurs qui lui ont permis de conquérir le monde[7]7https://laviedesidees.fr/IMG/pdf/20220509_stepanoff-graeber.pdf. » Le blé, et, par extension, tout être domestiqué depuis le Néolithique, serait donc un être souhaitant que l’homme le domestique : « Quant aux Néolithiques eux-mêmes ils n’avaient sans doute aucune peine à reconnaître une perspective, des intérêts et une agentivité au blé, si l’on en juge par les cultes de l’esprit des céréales si courants parmi les peuples cultivateurs d’Eurasie comme d’Amérique[8]8Ibid.. »
Cette nouvelle conception de la domestication s’inscrit dans le postmodernisme actuel qui accordent plus d’importance aux contes, mythes et légendes qu’à la raison et à la vérité. Croire en ces fictions nous déresponsabilisent et nous empêchent de juger raisonnablement de ce qui est juste et injuste, bien ou mal, de distinguer le vrai du faux. Ils participent ainsi à nous maintenir dans le mensonge, nous aveuglant sur les causes de notre propre aliénation.
En effet, c’est une toute autre histoire que nous raconte celle du coq sauvage devenu le chapon qui orne encore aujourd’hui la table des festivités.
Des rizières à la basse-cour
L’ancêtre du coq domestique, Gallus gallus (ou Gallus bankhiva), est originaire du sud-est asiatique.
Les plus anciens fossiles d’individus domestiqués sont datés de 1 650 à 1 250 av. J.-C., et ont été mis au jour sur le site néolithique de Ban Non Wat, en Thaïlande. Ces oiseaux ont été déposés comme offrandes funéraires aux côtés de porcs, de chiens et de bovins domestiques dans des sépultures humaines. La culture du riz serait l’une des principales causes du rapprochement de l’espèce sauvage des villages, le coq sauvage étant un animal omnivore friand de graines céréalières.
Les poules domestiques ont été transportées vers le sud dans l’Asie du Sud-Est insulaire et vers l’ouest à travers l’Asie du Sud et la Mésopotamie. Elles furent introduites en Europe vers 800 av. J.-C., certainement via la Perse et par les voies maritimes marchandes.
En Europe, plusieurs des plus anciens individus de poules domestiques sont enterrés seuls et non consommés, tandis que beaucoup sont retrouvés dans des sépultures humaines. Les hommes étaient souvent enterrés avec des coqs et les femmes avec des poules. Ces découvertes témoignent de l’ancienneté du lien symbolique entre l’homme et le coq, la femme et la poule, ainsi que des sacrifices d’animaux à des fins funéraires[9]9https://www.inee.cnrs.fr/fr/cnrsinfo/nouveau-regard-sur-la-domestication-de-la-poule-une-histoire-de-riz-et-doiseau-exotique. Les coqs et les poules, victimes assez bon marché, étaient à la portée de fidèles plutôt modestes désirant participer au rite du sacrifice sanglant. Ils ont été sacrifiés notamment lors des rites de purification dont certains étaient des holocaustes.
Les données archéologiques et l’iconographie tendent à confirmer que les hommes se sont d’abord intéressés au coq sauvage pour la beauté de ses plumes et pour provoquer des combats[10]10Hans L., « The story of cockfighting », aviculture-europe digital magazine, Pays-Bas .
Combats de coqs
Il n’est pas étonnant que le coq, animal bipède à l’apparence fière, spectaculairement belliqueux pendant la période de reproduction, symbolise la rivalité masculine dans des sociétés où elle est valorisée. En 1988, dans le Nord de la France, des coqueleurs faisaient se battre entre soixante mille et cent mille coqs par an[11]11Cegarra M., « Les coqs combattants », Terrain [En ligne], 10 | 1988, mis en ligne le 18 juillet 2007, consulté le 31 décembre 2023. URL : … Continue reading.
Métaphore du guerrier, du gladiateur, de l’athlète, le coq est un oiseau « hyper-masculin[12]12Chandezon, C., 2021, Le coq et la poule en Grèce ancienne : mutations d’un rapport de domestication. Revue archéologique, 71, 69-104. https://doi.org/10.3917/arch.211.0069 ». En Grèce, vers 750 ou 650 av. J.-C., le coq représentait à la fois l’ardeur masculine et la combativité. Symbole de la masculinité, il était un cadeau dans les relations entre érastes et éromènes. Des coqs affrontés apparaissent jusque sur des monnaies d’électrum du trésor de l’Artémision d’Éphèse, monnaies frappées certainement vers le VIIe siècle av. J.-C.
Toutes les observations ethnologiques des coqs de combat, de Bali au Nord de la France, semblent singulièrement correspondre aux représentations antiques qui en font le symbole de la virilité.
Tandis que les coqs de combat sont considérés comme intelligents et nobles, le coq de la basse-cour est quant à lui qualifié de vaniteux, et les poules domestiques de bêtes et stupides. C’est parce que, à travers le coq de combat, les coqueleurs s’identifient à un combattant. Pourtant, les coqueleurs sont avant tout des éleveurs.
Du combattant au chapon
Depuis l’Antiquité, la sélection et le soin des coqs de combat est une affaire masculine. L’élevage en vue d’obtenir des coqs de combat implique croisements et sélections qui ont eu pour conséquence la constitution d’un savoir zootechnique, et ont donné lieu à l’apparition de différents types de coqs de combat[13]13Affergan F., 1986, « Zooanthropologie du combat de coqs à la Martinique », Cahiers internationaux de sociologie n° LXXX..
Les coqueleurs choisissent des reproducteurs parmi les meilleurs vainqueurs. Les poules reproductrices sont, elles aussi, filles ou sœurs de « duellistes célèbres[14]14Ibid. ». Si les coqueleurs suivent l’évolution des œufs, ce sont les femmes qui prennent soin des poussins jusqu’à ce que la différenciation sexuelle soit marquée. Les hommes sélectionnent alors le jeune coq, l’extraient de la basse-cour, l’isole des femelles et des autres coqs, le condamnant à vivre seul dans une cage pour décupler son agressivité. Il faudra attendre trois mois au minimum pour qu’il soit prêt au combat.
Les coqueleurs coupent ensuite la crête de l’animal (décrêtage) et les caroncules. Les femmes sont exclues de cette opération mais pour le fils, le décrêtage sera une des premières épreuves pour devenir coqueleur. Devenir coqueleur implique pour l’enfant qui a pris soin du coq d’accepter de le voir mourir au combat et de le saigner. Cette initiation participe à briser la capacité empathique et émotionnel du jeune garçon, modifiant son rapport à l’autre et plus particulièrement ses relations affectives. Pour être un « combattant », un homme viril, il lui faudra accepter de mettre à mort un être sur lequel il a porté son affection, s’arrogeant de cette manière le droit de vie et de mort sur celui dont il a pris soin. Les coqs de combat ont en effet un nom et sont individués. Les coqueleurs les admirent, ne pensent qu’à eux, en prennent beaucoup plus soin que s’ils étaient destinés à l’alimentation humaine. Chaque coqueleur a une relation privilégiée avec son coq. Si l’enfant est incapable de supporter l’effusion du sang et la mise à mort, il ne pourra pas entrer dans le cercle des hommes et sera confiné à la sphère féminine, celle de la cuisine ou de la basse-cour[15]15Cegarra M., op. cit..
Les femmes sont également exclues de l’armage et de la saignée finale. Contrairement à la théorie avancée par Alain Testart[16]16Testart A.,1986, Essai sur les fondements de la division sexuelle du travail chez les chasseurs-cueilleurs, ehess, Paris, Les Cahiers de L’Homme., ce n’est pas l’effusion de sang qui est interdite aux femmes. Rappelons que, traditionnellement, ce sont elles qui tuent la volaille pour la consommation familiale. Ce qui leur est interdit, c’est l’ardeur combattante, la mise à mort de celui qui représente la virilité. Une hiérarchisation s’établit ainsi entre basse-cour, sphère domestique et gallodrome, lieu de la virilité.
L’élevage des poules est depuis l’Antiquité une affaire féminine. Longtemps exploitées pour les œufs[17]17Les œufs sont exploités depuis plus de 4 000 ans à des fins alimentaires mais aussi pour beaucoup d’autres usages en médecine , notamment, ou comme liant en peinture. Les plus anciens … Continue reading et pour obtenir des coqs combattants[18]18Cegarra M., op. cit., les poules sont peu présentes dans l’iconographie archaïque. À partir du Ve et IVe siècles av. J.-C., l’élevage des poules pour l’alimentation se développe en même temps que les sites urbains et militaires[19]19Chandezon, C., 2021, « Le coq et la poule en Grèce ancienne : mutations d’un rapport de domestication », Revue archéologique, 71, 69-104. https://doi.org/10.3917/arch.211.0069 . En effet, nombre d’indices incitent à voir dans le développement des élevages de poules une des solutions aux problèmes d’approvisionnement carné des villes en Méditerranée antique[20]20Pitt J.-C., 2017, The Ecology of Chickens : An Examination of the Introduction of the Domestic Chicken Across Europe after the Bronze Age, PhD Bournemouth University.. À partir de 200 av. J.-C., la quête de profits sera à l’origine d’une nouvelle intensification de l’élevage des poules qui occupera désormais une place plus importante que l’élevage des coqs de combat. L’importance économique de la poule se traduit par une perte de prestige de l’espèce.
D’une couvée naissent généralement autant de mâles que de femelles. Les coqs étant plus agressifs que les femelles et ne produisant pas d’œufs, il est plus rentable de broyer les poussins mâles ou de les castrer et les engraisser pour la viande. L’élevage implique donc la castration des poussins mâles et l’engraissement des chapons. Cependant, les coqs sont indispensables au poulailler puisque, tout comme les coqs sauvages, ils protègent les poules des prédateurs. Le coq est aussi celui qui annonce l’arrivée du soleil. Au Ve siècle, il symbolise donc « la vigilance qui lutte contre les tentations et les démons de la nuit[21]21Beaune C., 1986, « Pour une préhistoire du coq gaulois », Médiévales, n°10, 1986. Moyen âge et histoire politique, sous la direction de Georges Duby, pp. 69-80. … Continue reading ». C’est peut-être une des raisons pour lesquelles au Moyen Âge le coq de basse-cour – à la fois protecteur envers ses poules et jaloux – sera identifié au clergé séculier dont le principal devoir est d’éduquer les fidèles et de les garder sous la protection de l’Église. L’origine du terme gallus pourrait aussi être liée au nom des prêtres orientaux de Cybèle, les Galli, qui avaient la particularité d’être eunuques. Grégoire le Grand rapprochera plus tard gallus du terme castratio, le chapon figurant désormais les prédicateurs saints « qui ignorent les désirs charnels et veillent sur le peuple de Dieu[22]22Ibid. ».
C’est à partir du Moyen Âge que l’on retrouve le coq dans l’héraldique et la littérature et que va s’établir le mythe du coq gaulois. Au XIIe siècle, du fait de l’homonymie fortuite entre Gallus, l’habitant de la Gaule, et gallus, l’habitant du poulailler, l’image du coq revient fréquemment pour désigner les Français. Dès l’époque romaine, César qualifie les Celtes de gallus[23]23Ibid.. L’emblème est imposé de l’extérieur. Dans les cours voisines, telles que celle du Saint Empire Romain Germanique ou d’Angleterre, cette association sert à ridiculiser les français, opposant les fiers animaux guerriers symbolisant les puissances d’Europe, tels que l’aigle impérial, le léopard anglais ou le lion espagnol, et la simple volaille de basse-cour qu’est le coq. Au XIVe siècle, Christine de Pisan compare Charles V au coq qui veille sur la basse-cour. La symbolique antique du coq blanc est redécouverte, oiseau sacré dédié aux Dieux Mercure et Jupiter, symbole de beauté, de lumière et d’immortalité de l’âme. À partir du XVe siècle, il devient le symbole officieux du roi François Ier pour devenir, à la Révolution, le symbole patriotique officiel de la France.
Le sacrifice de la virilité
Comme de nombreux symboles, le coq de combat a un double langage. Aussi, il symbolise les pulsions dites sauvages, la virilité à l’état de nature, violente et sexuelle. Pour mieux la spectaculariser, les coqueleurs intensifient les instincts agressifs des coqs qui, parés d’armes artificielles, représentent les hommes dans l’arène.
Les coqs qui gagnent le combat sont de vrais hommes tandis que ceux qui le perdent sont de « faux hommes », ce qui est pire que d’être une vraie femme[24]24Affergan F., op. cit.. En Martinique, Francis Affergan remarque que les représentations de combats humains qui se situent à mi-chemin de la danse et de la lutte reproduisent les mêmes gestes que ceux pratiqués par les coqs de combat. Le coq est, pour l’homme dépourvu de pouvoir, un modèle à suivre.
Tout combat de coqs organisé par les hommes est en premier lieu un sacrifice sanglant pour conjurer la tragique réalité de leur mutuel asservissement. Peut-être est-ce aussi pour cela que les coqueleurs éprouvent une passion quasi exclusive pour leur coq. Ils passent en effet beaucoup de temps avec lui, à le soigner, à le nourrir, à en parler, à le contempler. Cette admiration est le fait d’un narcissisme[25]25Giust-Ollivier A., 2019, « Culture du narcissisme: (culture of narcissism – cultura del narcisismo) », in : Agnès Vandevelde-Rougale éd., Dictionnaire de sociologie clinique (pp. … Continue reading qui vient combler une impuissance politique. Le mépris pour la docilité des animaux de la basse-cour, docilité recherchée par la sélection afin qu’ils puissent supporter de vivre dans des espaces restreints et être manipulables, devient fascination pour l’agressivité des animaux à l’état sauvage. C’est pour ces raisons que les coqs de combat sont admirés et « aimés » avant d’être sacrifiés. Mais ils sont des animaux qui ont été dressés, torturés, qui sont plus dénaturés que les coqs de basse-cour eux-mêmes. Cette identification des coqueleurs révèlent l’ambivalence des sentiments humains, du dualisme inscrit dans toute société domesticatrice, reflet des relations de maîtres et esclaves, mélange de crainte, de fascination et de mépris.
C’est pourquoi le combat de coqs figure en premier lieu l’aliénation psychologique des coqueleurs eux-mêmes. À travers les combats de coqs, ils croient montrer leur supériorité sur l’animalité puisqu’ils pensent contrôler leurs « pulsions » agressives. Ils pensent que les hommes n’utilisent leur ardeur combattante que pour le salut de la nation, et non pour se battre entre eux sans enjeu, comme le font les coqs de combat. Pourtant, les combats de coqs organisés par les hommes ne sont pas sans enjeux, ni pour les coqs ni pour les coqueleurs. Ces derniers ont conditionnés les coqs pour qu’ils soient les plus agressifs possibles : à Bali, « on lui fourre du poivre rouge dans le bec et dans l’anus pour lui donner de l’ardeur[26]26GEERTZ C., 1983, « Jeu d’enfer : notes sur le combat de coqs Balinais », in Bali : interprétation d’une culture, Paris, Gallimard. », une complète solitude lui est aussi imposée[27]27Cegarra M., op. cit.. Ils les placent dans des conditions telles qu’ils ne peuvent fuir le combat. La mise à mort dans l’arène confond donc ardeur combattante et agressivité. C’est la rivalité agressive entre mâles qui est mise en scène et non l’ardeur combattante. Le véritable sujet des combats de coqs est la frustration des coqueleurs eux-mêmes qui se rêvent combattants plutôt que coqs de basse-cour. Si l’humain mâle, comme les mâles des autres espèces, est plus agressif que les femmes, l’ardeur combattante n’est pourtant pas le propre de leur sexe. Considérer que l’ardeur combattante n’appartient qu’à certains hommes – en l’occurrence les plus agressifs – participe à valoriser des brutes et non des combattants dans le sens noble du terme : c’est-à-dire qui sont capables de se sacrifier pour défendre les plus fragiles, notamment les enfants. Cela participe également à mépriser tout ce qui est considéré comme féminin, puisque la femme ne peut généralement pas affronter équitablement un homme dans l’arène, dimorphisme sexuel oblige. Confondre agressivité et ardeur combattante permet de maintenir des hiérarchies entre les individus, d’opposer les sexes et de croire qu’être un homme, un « vrai », est une affaire d’agressivité et non de courage et de tempérance.
Le coq sauvage entre en conflit avec les autres mâles lors de la période de reproduction, pour garder jalousement ses poules et son territoire. En dehors de la période de reproduction, ils vivent en groupes mixtes de plusieurs individus[28]28https://www.universalis.fr/encyclopedie/coq-et-poule/. Si la rivalité masculine est inscrite dans la nature de l’homme, il est alors nécessaire de la contrôler pour instaurer une société juste. Mais la société capitaliste patriarcale a imposé des conditions de vie qui, au contraire, accentuent l’agressivité et la rivalité des individus.
Coq/poule, taureau/vache, bouc/chèvre, bélier/brebis… les différences sexuelles biologiques des animaux domestiques servent à la polarisation des sexes dans la société. Cette polarisation est particulièrement visible dans le combat de coqs qui ne retient du coq sauvage que son agressivité envers ses congénères pendant la période reproductive. L’agressivité est valorisée au dépend du rôle protecteur du coq. L’image du coq protecteur, quant à elle, pourrait être justifier par le fait que la rivalité entre les hommes est dangereuse pour les femmes et les enfants. Mais pourquoi, dans ce cas, avoir interdit les armes aux femmes ? Les Amazones du Dahomey prouvent que les femmes peuvent être aussi courageuses et féroces que n’importe quel guerrier, qu’elles sont aptes à se défendre et à défendre les enfants. La rivalité masculine participe surtout à hiérarchiser les hommes entre eux, réduisant les femmes à un objet de prestige. L’image de l’homme protecteur de la femme, du roi protecteur de la basse cour, est un leurre pour justifier la domination des uns et la subordination des autres. La société patriarcale a hiérarchisé les hommes : hommes libres, esclaves, femmes et enfants. C’est la rivalité masculine qui est à l’origine du mépris pour les femmes et le féminin et qui participe à réduire en esclavage d’autres hommes, à s’approprier le corps des femmes. Cependant, les hommes ne sont pas condamnés à être des agresseurs ou des agressés. Si des rituels précis sont pratiqués dans les cultures valorisant la guerre pour rendre les hommes plus agressifs et violents, c’est bien parce que sans cela la plupart ne le seraient pas, du moins pas suffisamment[29]29Minski A., Force et cruauté, les ruminants. L’enfant est, avant même de naître, pris dans un agencement affectif et social qui participera à développer ou atténuer son agressivité. La communauté dans laquelle il grandira participera à développer en lui une vie affective complexe. Incapable, pendant de nombreuses années, de subvenir seul à ses besoins, il imitera les adultes qui lui apprendront à parler, à marcher, à respecter, à aimer. La manière dont les enfants sont élevés est primordiale.
Les discours que nous élaborons pour justifier la projection de nos fantasmes et démons sur les sexes, les enfants, les autres peuples, les autres espèces, doivent être critiqués et jugés. Il est en effet important de lever le voile de toutes ces mystifications, d’analyser et critiquer les symboles, pour reconnaître dans ces actes l’exploitation et la torture. D’autant plus que nous savons aujourd’hui que nous sommes, pour la plupart d’entre nous, victimes de ces mêmes violences : confinement, dressage, surveillance, rivalités provoquées et contrôlées, etc.
Pour définir la virilité, les hommes se sont appropriés certaines qualités comme le courage, la tempérance, la raison. Selon cette conception, ces qualités seraient propres au mâle de l’espèce humaine. La socialisation genrée participe donc à refuser aux femmes ces qualités indispensables à tout individu pour défendre sa liberté et son autonomie. Le féminisme radical dénonce cette socialisation genrée qui a emprisonné les femmes dans la sphère privée, les excluant de la sphère politique. Les différences biologiques entre les sexes ne doivent pas, sous prétexte de faiblesse et de besoin de protection, infantiliser les femmes. Le féminisme radical affirme que le courage, la tempérance, la raison appartiennent à tout être humain, quelque soit son sexe. Il en est de même des qualités octroyées à la féminité tels que l’empathie, la tendresse, le soin apportés aux enfants et aux anciens et qui appartiennent elles-aussi aux hommes. Refuser de développer ces qualités féminines, instaurer des rituels pour se les interdire conduisent les hommes à réduire la masculinité au combat à mort entre mâles conditionnés pour s’entretuer. Ce qui est mis en scène dans les combats de coqs ce n’est ni le courage ni la force, mais l’agressivité et l’incapacité des coqs à identifier leur véritable ennemi : le coqueleur. La virilité, dans le sens de tempérance, raison et courage, est donc outragée, mutilée, injuriée, réduite à un combats de coqs tenus en laisse.
Si l’imaginaire et le rêve sont une part importante de notre humanité, il n’en reste pas moins qu’accorder du crédit aux symboles et métaphores, qui n’existent souvent que pour justifier les comportements cruels des uns et la docilité des autres, est la manière la plus raffinée de maintenir la hiérarchie entre les sexes, les espèces, les peuples et les hommes eux-mêmes.
Ana Minski
Corrections : Lola
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