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Au cœur des luttes amérindiennes
de Lucile Alemany, Lamia Chraibi et Margerie David
Cet article a été publié sur le blog mitaghoulier en 2017. La lutte des peuples indigènes contre l’exploitation pétrolière est toujours d’actualité.
En 2020, Domingo Peas, membre de la nation Achuar et coordinateur de la campagne de protection des bassins sacrés de l’Amazonie, lance un appel pour une alliance mondiale :
Les indiens waorani se sont lancés en 2020 dans une bataille judiciaire contre l’exploitation pétrolière pour protéger les 180.000 hectares de forêt amazonienne en Équateur.
Voix d’Amazonie est un documentaire indépendant qui retrace les luttes menées depuis plus de 30 ans par les groupes amérindiens d’Équateur contre l’extraction pétrolière.
Le désastre de Chevron-Texaco :
À partir de 1962, l’entreprise Texaco développe l’extraction pétrolière en Équateur. Elle décrète que le sol de l’Amazonie est argileux et donc imperméable. Les bassins de stockage ne disposent ainsi d’aucun isolant pour éviter l’infiltration des résidus pétroliers dans les nappes phréatiques et le tissus aquifère. Des millions de tonnes de déchets sont déversés sur des centaines de sites : jungle, fleuve, marais, estuaires, parc national Yasuni. L’entreprise prétend que l’eau est potable, mais peu à peu se forme une strate meuble, épaisse bouillie noire visible dans le documentaire. En 28 ans, huit cent vingt sites seront contaminés. Bien que 87,3 % des habitants de ces provinces vivent à moins de cinq cents mètres des puits d’extraction, bassins et autres installations pétrolières, que des logements ont été également construits sur d’anciens bassins, aucune information sur les dangers encourus par les personnes, les animaux et les plantes n’a jamais été diffusée par Texaco. Des missionnaires tentèrent même de convaincre les amérindiens récalcitrants des bienfaits de l’exploitation pétrolière et de la civilisation. Des employés de l’entreprise n’hésitèrent pas à dire que le cancer chez les amérindiens est dû à un manque d’hygiène et que des bains dans l’eau contaminée les rendraient plus fort. En 1992, l’entreprise se retire sans dépolluer les sources d’eau potable utilisées par plus de 30 000 personnes. Les conséquences sont catastrophiques : augmentation des cancers, des leucémies, des problèmes digestifs et respiratoires. De nombreuses personnes abandonnent leurs terres.
Le 3 novembre 1993 une première plainte est déposée par des paysans et des Amérindiens d’Orellana et de Sucumbíos devant la Cour fédérale de New York. Six mois plus tard, une vingtaine d’organisations populaires et de communautés de la région s’unissent pour soutenir la plainte de l’Union des victimes des opérations de Texaco (Updat) donnant naissance au Front de défense de l’Amazonie. En octobre 2003, deux ans après le rachat de Texaco par Chevron, le procès débute en Équateur. Avec l’élection de M. Rafael Correa, en 2006, le système judiciaire change et le 14 février 2011 la compagnie pétrolière est reconnue coupable. Elle doit verser 9,5 milliards de dollars à l’Updat pour le nettoyage des sols, l’installation d’aqueducs et la mise en place de systèmes de santé et de développement dans la zone. Mais Chevron riposte et accuse l’Updat de racket devant la cour d’appel de New York qui entérine la décision. En juin 2017, la Cour suprême américaine refuse de se saisir du dossier confirmant ainsi le jugement de la cour d’appel de New York.
Les Droits de la nature :
Texaco a déversé 108 000 tonnes de résidus de pétrole et de pétrole brut sur un territoire de 2 millions d’hectares. Ce désastre environnemental a provoqué l’extinction de peuples indigènes ancestraux. Le documentaire donne la parole aux peuples Cofanes qui ont dû fuir les territoires contaminés, et les communautés Kichwas de Sarayaku, premier peuple à avoir gagné un procès contre l’État et devenu emblème des résistances des peuples qui se battent pour la préservation des terres. Il témoigne également du rôle crucial des femmes dans la résistance contre l’extractivisme et le patriarcat. Au cours des marches elles apparaissent toujours aux premiers rangs. Les femmes kichwas ont fondé l’Association des femmes indigènes de Sarayaku (AMIS), une organisation pionnière dans la lutte contre le patriarcat. Ce sont elles qui ont convaincu les hommes de parcourir à pied les 250 kilomètres qui les séparent de Quito pour la marche de 1992. Date à laquelle plusieurs peuples amazoniens de l’Équateur ont réclamé la légalisation de leurs titres de propriété. Ils sont parvenus à faire entendre leurs revendications, ces dernières se retrouvent en partie dans la Constitution de 2008, première au monde à instituer les Droits de la nature : “Art. 71 : La nature ou Pacha Mama, où la vie se reproduit et se réalise a le droit que son existence, le maintien et la régénération de ses cycles vitaux, sa structure, ses fonctions et processus évolutifs, soient intégralement respectés. Toute personne, communauté, peuple ou nation pourra exiger auprès de l’autorité publique l’accomplissement des droits de la nature.” Cependant, les titres fonciers obtenus en 1992 ont été inutiles lorsqu’une décennie plus tard, la société pétrolière argentine CGC est arrivée sur le territoire.
Si R. Correa a d’abord été d’accord avec le mouvement indigène et les organisations écologiques, il a vite reprit la tradition extractive de ses prédécesseurs et n’a pas hésité à déclarer les Kichwas “terroristes environnementaux opposés au développement de la nation”.
Malgré ces accusations, les Kichwas remportent en 2012, devant la Cour interaméricaine des droits de l’homme (CDIH), une première victoire contre l’État équatorien : les autorités ont été reconnues coupables d’avoir donné le feu vert à des missions privées d’exploration et d’exploitation pétrolière sur le territoire de Sarayaku sans demander l’avis des principaux intéressés. Mais la répression de l’opposition indigène s’accroit et l’Etat signe, en janvier 2016, un contrat avec les Chinois d’Andes Petroleum pour explorer la province de Pastaza.
Le Buen vivir :
Ce que dénoncent les peuples amérindiens c’est l’étendue et l’intensité des activités extractives qui ne sont jamais dénuées de risques socio-environnementaux. Ils repensent également le concept de développement et de progrès, les arrachant aux strictes domaines de la croissance économique. Leur objectif est de rétablir une relation pérenne entre l’humain et la nature, conforme au concept du Buen vivir qui met en avant l’entraide et la lutte contre l’accumulation des richesses. Vivre bien, c’est “vivre en harmonie avec nos familles, avoir une bonne santé, une bonne éducation et prendre soin de notre Terre Mère”. Le buen vivir s’attaque aux structures mêmes du système industriel qui nous condamne à la compétitivité, nous maintenant dans l’illusion d’une croissance indéfinie. Le concept même de croissance, avec son cortège de destructions environnementales, n’est plus acceptable. Pour les peuples amérindiens, la sauvegarde et le respect de la nature sont intrinsèquement liés à la vie et doivent trouver une réponse économique à travers des choix politiques.
Si l’Amérique latine est la région la plus dangereuse pour ceux qui veulent défendre leurs terres, leurs forêts ou leurs rivières, les défenseurs de l’environnement sont de plus en plus menacés dans le monde. En 2016, 200 d’entre eux ont été assassinés :
“Les meurtriers sont des tueurs à gages, des agents des services de sécurité privée des entreprises, des groupes paramilitaires, des braconniers, mais aussi des membres de l’armée ou de la police elle-même. Dans la plupart des cas, l’impunité règne.“
Voix d’Amazonie rend hommage au courage de ces peuples qui luttent contre la voracité des compagnies minières et pétrolières, forestières ou agro-industrielles. Leurs paroles permettent d’envisager d’autres modes de vie, un autre avenir.