Illustration de couverture : Léon Spilliaert

Ni transphobe, ni putophobe, ni validiste (par Ana Minski)

Les féministes radicales critiquent une théorie, celle de l’identité de genre, et non des individus. En tant que radicales, nous comprenons que le genre est une oppression mise en place par le viriarcat (la domination masculine) et qu’il est important de le dissocier du sexe biologique. Nous défendons donc le maintien de groupes non-mixtes dédiés aux femmes, comme de groupes non-mixtes dédiés aux transgenres, aux lesbiennes, aux racisés, aux homosexuels, etc. Pourquoi les femmes doivent-elles pouvoir se réunir en non mixité ? Parce qu’une humaine née avec une vulve ne sera pas éduquée, et ce dès l’échographie, de la même manière qu’un humain né avec un pénis. Les attributs sexuels visibles à la naissance sont déterminants pour le viriarcat, c’est d’ailleurs contre cela que s’insurge également les intersexes. Une nouvelle-née subira une éducation de soumission en vue de répondre aux désirs du nouveau-né qui sera éduqué pour devenir un mâle dominant, un “mâle alpha”. Lorsqu’un individu ne se sent pas en adéquation avec le genre que la société viriarcale lui assigne à la naissance, il en souffre, mais la cause de cette souffrance est le genre et non le sexe biologique.

Considérant que le genre est coercitif, imposant la féminité aux femelles et la masculinité aux mâles, nous luttons pour son abolition. Mâles et femelles peuvent porter des robes, se maquiller et s’émouvoir sans qu’il soit nécessaire d’y accoler les termes femme ou homme, féminin ou masculin. Nos identités et personnalités sont bien plus riches et complexes que ce que prétend le viriarcat et n’ont pas à être réduites à un sexe, à un genre, à un comportement, à un style vestimentaire, à une attitude, à une orientation sexuelle.

Il nous paraît cependant dangereux de nier la réalité du sexe biologique, bien que celui-ci ne nous détermine pas en tant qu’individu social. Comme écrit précédemment, l’enfant né avec un pénis sera considéré, dès ses premiers langes, comme un coq dans une basse-cour. Cependant, il existe une différence importante entre un Donald Trump et un Nelson Mandela, par exemple. Nous refusons donc l’utilisation du terme « cis » qui invisibilise ces différences. D’autant plus quand il est accolé aux femmes qui sont les premières victimes du viriarcat. Accepter son sexe ne signifie nullement accepter son genre, le terme « cis » invisibilise cette distinction sexe/genre et la complexité des oppressions pour culpabiliser et désigner comme oppresseur tout individu qui ne se reconnaît pas transgenre. Lutter contre le viriarcat, c’est lutter contre la socialisation des enfants en vue d’obtenir des “mâles alpha” ou des servantes du mâle. C’est dénoncer et lutter contre toute dérive masculiniste, qu’elle vienne des hommes (Donald Trump, Bolsonaro, Zemmour), des femmes (Marine Lepen, Margarett Thatcher), mais aussi des gays, des transgenres, des lesbiennes, des racisés. Prétendre y échapper sous prétexte de changer de genre ou d’orientation sexuelle est dangereux et peut conduire à un narcissisme typique du suprématisme mâle, pilier idéologique de la civilisation. Le capitalisme viriarcal étend en effet son idéologie compétitive à toutes les sphères (amour, amitié, sexualité, soin, alimentation, naissance, mort), elle nous concerne donc tous à des degrés divers. C’est cette idéologie et sa socialisation qui doivent être combattues.

En tant qu’écologistes radicales, nier la réalité biologique et les limites qu’elle nous impose (faim, soif, reproduction, mammifères terrestres) est au cœur de la destruction actuelle du vivant, de la démesure et de la prédation de la civilisation, culture née du suprématisme de l’humain mâle qui veut tout dominer, contrôler et modifier en vue de répondre à ses délires démiurgiques. De plus, une réalité biologique, celle de la reproduction sexuée des mammifères, nous semble importante à reconnaître pour ne pas aliéner davantage nos corps au système industriel, technoscientifique et marchand. Un corps femelle connaît des cycles et des maladies bien particuliers et différents de ceux d’un corps mâle. Son corps est fécondable, nier l’importance de l’exploitation de l’utérus dans la société capitaliste met donc en danger de nombreuses femmes qui sont exploitées en vue de répondre à une demande croissante d’ovocytes et de GPA. Demande asymétrique qui maintient l’exploitation des plus pauvres au profit des plus riches. La critique des technologies autoritaires nous permet également de dénoncer l’aliénation des corps qui sont de plus en plus dépendants d’une industrialisation pharmaceutique et d’une technologie autoritaire. Ces nouvelles technologies nécessitent des infrastructures néfastes pour l’environnement, l’exploitation de l’homme par l’homme, la poursuite de l’extractivisme, l’utilisation d’une énergie fossile et la mise sous tutelle d’une majorité de la population. Critiquer ces technologies ne signifie nullement que nous condamnons celles et ceux qui en ont actuellement besoin. La majorité d’entre nous dépendons de l’alimentation industrielle ce qui ne nous empêche pas de critiquer cette industrialisation. Tout prisonnier se doit de critiquer sa prison, d’en connaître les causes pour essayer de trouver des portes de sorties.

Il en est de même de la prostitution qui chosifie le corps de la femme en vue de répondre au commerce du sexe. La prostitution participe à l’augmentation de la traite des humains en vue de leur exploitation sexuelle, dont les premières victimes sont les mineures et les premiers bénéficiaires des hommes adultes. La prostitution n’est pas un travail, reconnaître la prostitution comme un travail c’est reconnaître que le proxénète est un chef d’entreprise. D’autre part, un corps n’est pas un outil de production, c’est un ensemble vivant complexe fait de chair et d’esprit, de souvenirs physiques et psychiques. La dissociation entre corps et esprit, indissociable de la prostitution, est donc au cœur même du système prostitueur. Se reconnaître victime de ce système qui nous concerne toutes et tous est une urgence pour lutter contre le viriarcat capitaliste. Échanger de l’argent pour pénétrer un corps c’est réifier ce corps, le transformer en marchandise qui peut être aussi maltraitée que le client-prostitueur le souhaite. De nombreuses études démontrent également que la réglementation de la prostitution accroît la traite des êtres humains en vue de l’exploitation sexuelle et ne réduit en rien les violences des clients-prostitueurs. La prostitution n’est pas une relation sexuelle mais une relation marchande d’une violence inouïe. Les conséquences pour les corps des femmes qui sont pénétrées plusieurs fois par jour sont aujourd’hui bien connues. Dénoncer le système prostitueur n’est pas dénoncer les prostituées, l’abolition n’est pas la prohibition. Les abolitionnistes ne sont pas contre les prostituées mais contre le systèmes prostitueur. Il en est de même de la pornographie qui n’est autre qu’une prostitution filmée.

“Transphobie”, homophobie, lesbophobie, “putophobie”, biogynophobie, misogynie, validisme… sont des discriminations que nous dénonçons, qui sont toutes liées à la violence viriarcale mais qui diffèrent les unes des autres. Défendre les droits des uns ne peut se faire en empiétant sur le droit des autres, c’est pour cela qu’il est urgent de s’entendre pour élaborer des droits adaptés à chacune de ces oppressions.

La transphobie est bien plus souvent une homophobie qu’une transphobie en tant que telle.

La putophobie : “Encore un mot fabriqué par le commerce du sexe. C’est encore un mensonge, parce que cela dépeint les abolitionnistes comme haïssant les prostituées, comme si elles n’en ont rien à faire et qu’elles ne sont contre la prostitution que par pur moralisme. C’est encore une fois une complète inversion de réalité : c’est l’industrie du sexe qui voit les prostituées comme des sous-êtres et des marchandises utilisables et jetables à volonté. Ce sont au contraire les abolitionnistes qui voient les prostituées comme des personnes pleinement humaines.” (Francine Sporenda, Survivre, p. 121)

Ana Minski

Pour aller plus loin :

https://lesruminants.com/index.php/2021/07/23/protegeons-nos-filles/

https://lesruminants.com/index.php/2021/07/23/protegeons-nos-filles/

https://www.partage-le.com/2021/05/03/transgenrisme-effacement-politique-du-sexe-et-capitalisme-par-le-collectif-anti-genre/

https://www.partage-le.com/2021/02/28/dysphorique-fuir-la-feminite-comme-une-maison-en-feu-par-vaishnavi-sundar/

https://lesruminants.com/index.php/2021/07/02/science-et-alienation/

https://ressourcesprostitution.wordpress.com/

https://lesruminants.com/index.php/2021/03/18/non-au-systeme-prostitutionnel/

https://revolutionfeministe.wordpress.com/

https://entreleslignesentrelesmots.blog/2021/04/18/lidentite-de-genre-invisibilise-le-patriarcat-plus-un-texte-sur-les-agressions-contre-des-lesbiennes/?fbclid=IwAR33cDapHWUJB1ilc01rqp7FY7AzlyFNGgukCKW0_j2JherS01gmRyQpq3U