Articles récents
Liens
- Mouvement du nid
- Ressources prostitution
- La révolution sera féministe
- Blog Révolution féministe
- Tradfem
- Scènes de l’avis quotidien
- Sniadecki – Critique de la science
- Les amis de Bartleby
- Sciences-critiques
- Polemos – Postcroissance
- Coalition internationale contre la maternité de substitution
- Podcast Rebelles du genre
Activisme Aliénation Anarchisme Andrea Dworkin Annie Gouilleux Anthropologie Antiprogressisme Archéologie Art paléolithique Aurélien Berlan Biogynophobie Capitalisme Capitalisme vert Charles Stepanoff Chasse Critique de la civilisation critique de la science Culture masculiniste Domestication Démystification Enfance Francis Dupuis-Déri Féminisme Féminisme radical GPA Histoire Identité de genre ITW Littérature Note de lecture Patriarcat Poésie Prostitution Racisme Revue Behigorri Rêve Sagesses Incivilisées Technocritique Technoscience transactivisme Transhumanisme Vidéos Violence masculine Écoféminisme Écologie
Image de couverture : Mélancolie de Constance-Marie Charpentier
Mary DALY – GYN/ECOLOGY, métaphysique du féminisme radical.1
Note de lecture à télécharger en .pdf
Mary Daly (1928-2010), professeure de théologie pendant 33 ans à Boston College, féministe radicale et lesbienne, auteure de nombreux ouvrages qui n’ont cessé d’inspirer le féminisme radical, est fort peu connue en France où son œuvre féministe n’a pas été traduite. Elle est, il faut l’avouer, très difficile à traduire (nous verrons pourquoi plus loin).
Son premier livre, alors qu’elle n’avait pas encore rompu avec la foi chrétienne, est intitulé The Church and the Second Sex (1968 – L’Église et le Deuxième Sexe) ; puis vient le second en 1973, intitulé Beyond the God Father : Toward a Philosophy of Women’s Liberation (Au-delà de Dieu le Père : vers une philosophie de la libération des femmes). Le troisième est celui dont je vais parler ici, Gyn/Ecology, the Metatethics of Radical Feminism (1978). Pure Lust : Elemental Feminist Philosophy (1984 – Pure volupté : philosophie féministe élémentaire) est le quatrième. Outercourse (1992 – la seule traduction que j’ai trouvée pour « outercourse » est : « l’amour sans pénétration ») et Quintessence (1998 – mot transparent) complètent cette série sur le voyage philosophique féministe.
En 1987, Mary Daly et Jane Caputi ont écrit un « dictionnaire » très personnel de la langue anglaise, langue que Daly utilise dans ses ouvrages. Elle travaille sur l’étymologie des mots et cherche à les « dépatriarcaliser » (avec succès à mon avis, mais là réside la grande difficulté de traduction) pour que nous puissions nous réapproprier « le pouvoir de nommer » qu’ont usurpé les hommes. Ce travail sur la langue va bien au-delà des pronoms et des terminaisons en .e.es de l’écriture inclusive.
***
Beyond the God Father avait été mal reçu par Boston College (établissement jésuite) et elle n’avait pas obtenu la chaire d’enseignement à laquelle ses diplômes et antécédents lui donnaient droit. À la même époque, Janice Raymond a connu le même sort car elle préparait sa thèse sous la direction de Mary Daly, thèse que nous connaissons en France sous le titre L’empire transsexuel (publié par Le Partage – et c’est à ce jour le seul ouvrage de Janice Raymond traduit en français).
« Cet évènement révéla à toutes celles qui étaient présentes [à un Forum sur les femmes dans l’Université organisé pour protester contre le refus de promotion signifié à Mary Daly] que l’on était en train de purger tous les départements des universités de leur enseignement par des féministes radicales 2. Et Janice Raymond, à l’occasion du même Forum, déclara ceci : « J’ai commis le pire et irrémédiable péché de m’identifier à et de créer des liens avec une autre femme. J’ai commis l’acte impardonnable d’étudier sérieusement avec une femme – et de m’identifier à elle professionnellement.3 »
Voilà Mary Daly emplie d’une « rage créative », car elle savait que son savoir et son originalité seraient récompensés autrement, principalement par le travail lui-même et par ce qu’il transmettrait aux autres femmes.
***
Dans cette nouvelle introduction, Mary Daly se réfère à deux termes importants qu’elle utilise dans le livre : foreground, premier plan et background, arrière-plan. L’arrière-plan est « l’authentique centre de l’évolution en cours des femmes » tandis que le premier plan, « le faux ‘‘moi’’ imposé/intériorisé, l’ombre du Moi, se réfère à la conscience superficielle […] il ne s’agit pas seulement d’une condition individuelle et interne, mais d’un genre de société. 4»
Cette « Introduction Intergalactique » comporte plusieurs rubriques introduites par des titres qui permettent à eux seuls de résumer la dynamique de l’ouvrage.
Le second titre est « Gyn/Ecology en tant qu’œuvre de piraterie », dont voici la teneur5 : « Je vois désormais Gyn/Ecology comme une audacieuse entreprise de piraterie. Étant un pirate depuis plusieurs années, je me suis autorisée à piller les trésors de savoir qui ont été volés aux femmes et leur ont été cachés. Et je me suis battue pour les ramener en douce de telle manière qu’on puisse les distinguer de l’ornementation qui paralyse l’esprit […]
Dans Gyn/Ecology, comme dans Beyond God the Father, je m’en prends à l’énorme système symbolique de la religion patriarcale. Dans les deux ouvrages, aborder ce sujet impliquait une analyse abstraite. Je me suis servie de ma technique très élaborée du raisonnement philosophique et théologique et j’ai argumenté sur le propre terrain de l’ennemi. J’ai également utilisé l’analyse théorique pour affronter les stratégies patriarcales que sont l’inversion, l’effacement, la particularisation et l’universalisation.
Dans Gyn/Ecology, […] l’analyse ne se limite pas au christianisme mais s’étend à l’universalité de la religion patriarcale elle-même. […]
Ainsi, dans Gyn/Ecology, j’ai pillé d’énormes quantités de matériaux accumulés par les voleurs patriarcaux. […]
J’ai écrit pour exposer les atrocités perpétrées contre les femmes à une échelle planétaire sous le patriarcat, et pour montrer les liens profonds qui unissent ces atrocités et ces meurtres de la Déesse. Dans ce but, j’ai dé-couvert le syndrome sado-rituel. » (C’est à dessein que j’écris « dé-couvert », comme l’a fait Mary Daly pour « dis-cover » afin de marquer l’action d’ôter un cache, de démasquer.) Elle a ajouté en note de bas de page une remarque importante qui fait le lien avec le temps présent et souligne la nécessité d’un féminisme radical offensif :
« Depuis la publication de Gyn/Ecology, les agents du malheur patriarcal ont envahi les femmes et la nature au cours d’attaques de plus en plus violentes. Leurs tentacules se sont allongés et multipliés. […] Voici une liste des faits qui se rattachent à cette évolution : une industrie de la pornographie de dix milliards de dollars s’est développée et continue à monter en puissance ; on voit partout ses images de la torture, du meurtre et du dépeçage des femmes et des filles, elles ‘‘inspirent’’ de plus en plus de violeurs et de tueurs de femmes. Les violences envers les femmes et l’inceste se répandent de manière alarmante. Ces horreurs ont toujours réellement existé sous le patriarcat, mais ces dernières années, on assiste non seulement à un accroissement des informations à leur sujet, mais aussi à un accroissement de ces pratiques elles-mêmes. La traite internationale des femmes est en hausse. Les femmes de couleur en sont les premières victimes, comme elles sont victimes de tous les autres crimes. Il existe une énorme demande d’enfants prostitués, en particulier autour des bases militaires et des ‘‘attractions touristiques’’. Les nouvelles technologies reproductives se développent à un rythme inquiétant, revêtant des formes qui réduisent les femmes à des ‘‘sujets d’expérimentation’’ subhumains. La torture des animaux dans les laboratoires et dans l’agrobusiness dépasse l’entendement. Et les tueurs de vie continuent à massacrer la planète et ses habitants. »
Puis elle consacre un assez long développement à ce qu’elle appelle son « artisanat/art de pirate 6» : « Dans Gyn/Ecology, mon inversion des inversions patriarcales exigeait que je fonctionne en ce qu’on pourrait appeler un ‘‘mode subliminal’’. Je n’aurais probablement pas pu adopter cette manière de penser/écrire si je n’avais pas passé des années à étudier la théologie et la philosophie médiévales, et à écrire des dissertations à ce sujet à l’Université de Fribourg, en Suisse, ville médiévale dans laquelle j’ai vécu et étudié pendant sept ans. Car c’est là que j’ai appris à penser et à écrire dans une langue théologique/philosophique qui ne pouvait pas dire ce que j’essayais de dire. C’est ainsi que dans mes dissertations, j’écrivais en code à mon insu.
Beaucoup plus tard, en écrivant Gyn/Ecology, le fait d’avoir dû penser de façon subliminale m’a été très utile. Ayant ‘‘saisi’’ de manière très profonde que le discours comporte de multiples niveaux, j’ai pu inverser le processus que j’avais appris à Fribourg et décoder les textes patriarcaux, exposant ainsi ce qu’ils dissimulaient. […]
Pour le dire un peu plus simplement, les Pouvoirs croissants de mon Art exigeaient que j’apprenne d’abord parfaitement les règles afin de les transgresser avec précision.7 »
Le féminisme radical n’est pas statique, c’est un voyage, souvent dans l’inconnu. Je suis « un verbe » dit Mary Daly « et non un nom » (p.29). Gyn/Ecology est un livre pour le mouvement des femmes. « C’est un appel aux femmes qui ne se sont jamais dites Sauvages auparavant, et un défi à celles qui ont lutté pendant longtemps et se sont mises en retrait pour un temps.[…]
Les féministes ont créé une riche culture, inventant de nouvelles formes d’écriture, de chansons, de fêtes, de réflexion et de recherche. Nous avons élaboré de nouvelles stratégies et tactiques pour nous organiser – pour survivre économiquement, physiquement et psychologiquement. Dans ce but, nous avons dû puiser au plus profond de nous-mêmes. Nous remarquons avec chagrin qu’entre temps, un autre phénomène a fait son apparition au premier plan de la société contrôlée par les hommes : les patriarches ont activement fait la promotion d’un pseudo féminisme. Les véritables rebelles/renégates ont été éloignées des positions du pouvoir tel que le définit le patriarcat, et elles ont été remplacées par des ersatz réformistes et robotisées.
On peut voir dans ce livre un Requiem pour ce genre de ‘‘mouvement des femmes’’, entièrement conçu, orchestré, justifié et assimilé par les hommes.8 »
***
Au stade où nous en sommes aujourd’hui, nous pouvons ajouter à cet ersatz de féminisme le phénomène transgenre qu’il défend sans comprendre que l’effacement des femmes (une fois que ce mot a perdu tout son sens biologique) rendra l’abolition du patriarcat impossible, mais ce féminisme-là ne souhaite pas vraiment l’abolition du patriarcat. Tout est en place en France, dans les lois notamment, pour que cet effacement se fasse progressivement, la résistance étant criminalisée et amalgamée à l’homophobie et à l’incitation à la haine. La « Gauche », les « Verts », « l’extrême gauche », l’Université sont infectés, ainsi que des journaux comme Libération, les médias, notamment France Inter, et (plus sournoisement) Arte et France Culture. La pusillanimité (dont tous les organismes précités ont fait preuve également face à l’écrasement de Gaza et de la situation des Palestiniens) est un trait marquant de notre époque de confusion mentale.
Car il faut appeler un chat un chat comme le déclare Mary Daly dans un paragraphe intitulé : « Nommer l’ennemi ». « Bien entendu, on dira que ce livre est ‘‘anti-mâle’’. Même les écrits féministes les plus précautionneux sont décrits de cette façon. Non seulement ce cliché manque d’imagination mais il est d’une fausseté anesthésiante, assourdissante qui rend impossible à entendre ce que disent vraiment les féministes radicales, parfois même entre elles. Les femmes et ceux qui nous ressemblent – la terre, la mer, le ciel – sont les objets véritables mais non reconnus des attaques et sont victimisés en tant qu’Ennemis du patriarcat – de toutes ses guerres, de toutes ses professions. Il existe des ouvrages féministes fournissant une multitude d’exemples de déclarations misogynes émanant d’autorités dans tous les ‘‘domaines’’, dans toutes les grandes sociétés, pendant toute l’existence d’un patriarcat millénaire. Les féministes se sont aussi longuement exprimées par écrit à propos des professionnels qui se comportent réellement en violeurs, des soldats aux gynécologues. En Inde, la coutume d’immolation des veuves (sati), en Chine le rituel du bandage des pieds, les mutilations génitales des jeunes filles en Afrique (pratique toujours courante dans vingt-six pays de ce continent), le massacre des femmes en tant que sorcières pendant la ‘‘Renaissance’’ européenne, le gynocide9 perpétué sous couvert de gynécologie et de psychothérapie en Amérique – tous ces faits sont documentés et accessibles dans les tomes et les tombes (bibliothèques) du savoir patriarcal. Nous disposons aussi de tous les faits contemporains de viols en bande brutaux, de violences conjugales, de lobotomisation avouée et subliminale.
Que peut bien vouloir dire l’étiquette anti mâle appliquée à des ouvrages qui dénoncent ces faits et invitent les femmes à se libérer ? De fait, ceux qui nous collent cette étiquette n’entendent pas lui donner une signification rationnelle, ni enclencher un processus de réflexion, ils cherchent plutôt à paralyser la pensée. Ils veulent en fait que cette étiquette transmette un message profondément émotionnel, attisant ainsi les craintes enracinées des pères et des fils, paralysant notre esprit. Car écrire un livre ‘‘anti mâle’’, c’est commettre le blasphème suprême.
Donc, les femmes continuent à se laisser intimider par l’étiquette ‘‘anti mâle’’. Certaines ressentent un faux besoin de clarification, par exemple : ‘‘Je suis anti patriarcale, mais pas anti(-)mâle.’’ Le courage d’être logique – le courage de nommer – exigerait que nous admettions en notre for intérieur que les mâles et seuls les mâles sont à l’origine du patriarcat, qu’ils en sont les planificateurs, les contrôleurs et ceux qui le justifient. Le patriarcat est le pays des mâles, leur Patrie ; et les hommes sont ses agents. La résistance primaire que nous opposons à la prise de conscience de cette réalité est décrite de façon précise dans La sororité c’est le pouvoir10 : ‘‘C’est penser que notre homme est une exception et que, par conséquent, nous sommes une exception parmi les femmes.’’ C’est dans l’intérêt des hommes (tel que les hommes perçoivent leur intérêt en patriarcat) et, d’une manière superficielle mais autodestructrice, c’est dans l’intérêt de nombreuses femmes de cacher cette réalité, et surtout de se la cacher à elles-mêmes.
Utiliser cette étiquette est le signe d’une intelligence et d’une moralité bornées. Malgré toutes les preuves que les femmes sont attaquées en tant que projections de l’Ennemi, nos accusateurs nous demandent sur un ton moqueur : ‘‘Pensez-vous vraiment que les hommes sont vos ennemis ?’’ Cette tromperie/inversion est si profonde que les femmes – même les féministes – sont intimidées et se mystifient elles-mêmes, devenant ainsi le seul groupe se déclarant opprimé mais incapable de nommer son oppresseur. On se réfère alors à de vagues ‘‘forces’’, ‘‘rôles’’, ‘‘stéréotypes’’, ‘‘contraintes’’, ‘‘attitudes’’, ‘‘influences’’. Cette liste est sans fin. Ce qu’elle signifie est qu’aucun agent n’est nommé – seules le sont des abstractions.
Le fait est que nous vivons dans une société profondément anti femelle, dans une ‘‘civilisation’’ misogyne dans laquelle les hommes victimisent collectivement les femmes, nous attaquent en tant qu’incarnations de leurs propres peurs paranoïaques, en tant que l’Ennemi. Dans cette société, ce sont les hommes qui violent, qui épuisent l’énergie des femmes, qui refusent le pouvoir économique et politique des femmes. Se permettre de connaître et de nommer ces faits constitue une action anti gynocidaire11. Agir de cette manière, se déplacer dans le dédale de la société anti femelle, exige de nommer et de vaincre les obstacles érigés par ses agents mâles et leurs instruments femelles agissant en leur nom. En tant que cristallisation créative du mouvement pour dépasser le stade de paralysie patriarcale, ce livre est un acte de dé-possession12 ; et donc, dans un sens qui dépasse les insuffisances de l’étiquette anti mâle, il est absolument anti androcratique13, étonnamment anti mâle, furieusement et définitivement femelle14. »
***
Dans la suite de cette introduction, Mary Daly trace le trajet que nous devons accomplir qui comportera « trois passages », en s’inspirant de Trois guinées, de Virginia Woolf, « livre profondément anti patriarcal » dit Mary Daly : « Dans ce livre prophétique, publié pendant les années 1930, elle montre ce qui relie les processions professionnelles absurdes, exposant leur caractère trompeur, leur morbidité et leur vacuité. Elle nous conseille de ‘‘briser le cercle, ce cercle vicieux, cette ronde qui tourne autour et autour et autour du mûrier, de l’arbre de la propriété, l’arbre empoisonné de la prostitution intellectuelle15.’’ Voici ce qu’elle dit du dilemme des femmes : ‘‘Derrière nous s’étend le système patriarcal avec sa nullité, son immoralité, son hypocrisie, sa servilité. Devant nous s’étendent la vie publique, le système professionnel, avec leur passivité, leur jalousie, leur agressivité, leur cupidité. L’un se referme sur nous comme sur les esclaves d’un harem, l’autre nous oblige à tourner en rond, telles des chenilles dont la tête rejoint la queue, nous oblige à tourner en rond autour de l’arbre sacré de la propriété. Nous n’avons de choix qu’entre deux maux.16’’ Oui, dit Mary Daly, « et chacun d’eux fait partie du même système de possession patriarcale dont la propriété principale est la vie de la femme.17 »
***
Si j’avais dix ou quinze ans de moins, je me hasarderais à traduire Mary Daly (et d’autres), mais la langue extrêmement créative dont elle se sert rend cette tâche particulièrement ardue. Car elle tente de réinventer un langage qui appartienne aux femmes, qu’elles puissent se réapproprier après l’avoir débarrassé des mensonges patriarcaux. Tout le reste de l’ouvrage est consacré à cette démystification, dont chaque exemple représente une étape – qu’elle appelle « passage », il y en a trois – du voyage des femmes. Je vais donc résumer à grands traits.
Premier passage :
« Les mythes processionnels rythment la société patriarcale. […] La société occidentale est encore possédée, ouvertement et de manière subliminale, par le symbolisme chrétien, et cet état de possession a étendu son influence sur la plus grande partie de la planète.18»
Ces « mythes processionnels » font écho aux processions dont parle Virginia Woolf dans Trois guinées. La religion, chrétienne en particulier, est ici clairement désignée comme agent du patriarcat. Ces processions caractérisent également l’armée, et elles vont souvent de pair.
« Le patriarcat lui-même est la religion dominante de la planète toute entière, et son message essentiel est la nécrophilie.[…] Toutes – du bouddhisme et de l’hindouisme à l’islam, au judaïsme, au christianisme, au jungisme, au marxisme et au maoïsme, constituent les infrastructures de l’édifice du patriarcat. Toutes ont été dressées pour protéger le mâle de l’anomie. Et voici le message symbolique que transmettent toutes les sectes de cette religion qu’est le patriarcat : les femmes sont l’anomie que nous redoutons19 ».
« Le féminisme radical libère le dynamisme inhérent au rapport mère-fille qui tend vers l’amitié, et qui est étranglé dans le système que dirigent les mâles. Le féminisme radical implique que les mères n’exigent pas que leurs filles se sacrifient, et que les filles n’exigent pas que leurs mères se sacrifient, comme le font les fils en patriarcat.20 » Mary Daly parle de « la mutilation primordiale, qui est la séparation ontologique de la mère et de la fille, et la séparation des sœurs (par le biais de mutilations bien réelles, par exemple les pieds bandés des Chinoises qui se transmettait de génération en génération ; on pense aussi aux mutilations génitales, etc. et on blâme les femmes qui participent à ces rites barbares sans comprendre qu’ils leurs sont imposés sous peine d’exclusion de la société, voire sous peine de mort.)
Le patriarcat fait appel au mythe pour perpétuer ses mystifications. Par exemple, le mythe de la naissance d’Athéna, sortie de la tête de son père Zeus, ou celle d’Ève, issue d’une côte d’Adam. « Afin d’inverser complètement les inversions, nous devons tenir compte du fait que les mythes patriarcaux contiennent un pouvoir mythique volé. […] c’est-à-dire que nous devons voir leur mensonge pour voir leur vérité. Nous pouvons à juste titre voir les mythes patriarcaux comme des inversions et de pâles dérivés d’un mythe plus ancien et plus transparent appartenant à une civilisation gynocentrée.21 »
« … se révolter contre les tyrans d’un monde phallotechnique c’est se révolter non seulement contre leur pseudo vie naturelle, c’est-à-dire la vie au niveau de sa simple perpétuation, mais aussi contre leur pseudo état surnaturel, contre leurs mythes et leurs miracles technologiques. […] Se révolter/re-considérer22 exigent le déicide ; quitter cet état d’imbécilité exige la mort du dieu idiot. Cela implique également de refuser d’être inclues dans la condition de crétinisme prétendument ‘‘humain après tout’’. Re-considérer, c’est nier cette fausse harmonie, briser ses chaînes, bondir vers la liberté. 23»
Le mythe chrétien a des prolongements dans le monde postchrétien : « En fait, les symboles du patriarcat préchrétien et chrétien se sont diffusés dans la culture occidentale et la technocratie occidentale en fait activement la promotion. Ces messages de misogynie meurtrière sont à la fois très raffinés et très grossiers. En outre, l’Église chrétienne a préparé le terrain à un démantèlement mental/moral postchrétien en obligeant moralement ses adeptes à croire en ce qui est de toute évidence insensé. Refuser ces actes de ‘‘foi’’ contraints, c’était encourir la damnation éternelle et le feu de l’enfer. Les descendants de chrétiens (y compris les anciens chrétiens ainsi que ceux qui étaient sous l’emprise lointaine de cette tradition générale) sont entraînés à croire en l’incroyable. Ainsi préparés, ils sont mûrs pour les viols que commettent les tyrans professionnels bureaucratiques et technologiques, ceux qui fabriquent les textes et les textiles qui tordent les esprits/corps. Ils sont particulièrement vulnérables aux viols perpétrés par les manipulateurs des médias, ces publicitaires de la sublimation24. »
La seule parole qui ne soit pas crue d’emblée dans la « société séculaire postchrétienne » est celle des femmes, qui sont récompensées si elles acceptent de propager la propagande patriarcale et punies dans le cas contraire, comme en témoignent les procès des violeurs.
Second passage :
Dans cette section, Mary Daly se concentre sur cinq rites destinés à massacrer les femmes : le sati Indien, le bandage des pieds chinois, les mutilations génitales sur les femmes en Afrique, la chasse aux sorcières en Europe, et la gynécologie américaine. « En les analysant, je chercherai à distinguer ce qu’ils ont fondamentalement en commun, y compris le syndrome sado-rituel. Ceux qui prétendent voir dans la dénonciation de ces crimes du racisme et/ou de l’impérialisme ne peuvent le faire qu’en s’aveuglant sur le fait que l’oppression des femmes ne connaît aucune limite ethnique, nationale, ou religieuse. Ce sont des variantes du thème de l’oppression, mais le phénomène est planétaire. 25»
Le sati indien concernait à l’origine les castes supérieures, mais avait tendance à se répandre. Ce rite a été légalement aboli en 1829, mais il s’est perpétué. La responsabilité du décès de l’époux incombait à l’épouse qui n’avait pas le droit de se remarier et était obligée de s’immoler sur le bûcher funéraire de son mari. Si elle n’était encore qu’une enfant au moment du décès de son époux, elle était condamnée à la prostitution pour échapper aux mauvais traitements de sa belle-famille et de sa parenté. Or, ce rite est décrit dans les dictionnaires ou par certains anthropologues ou observateurs comme un signe de dévotion de la veuve envers son époux, elle apparaît ainsi comme l’agent de sa propre destruction. Seule Katherine Mayo26 a décrit ces « coutumes » pour ce qu’elles sont, des féminicides dirions-nous aujourd’hui.
Mary Daly s’attarde sur son cas et sur la polémique déclenchée par son livre : on l’a accusée de racisme et de causer « une grave injustice à l’Inde27. » « Mayo s’inquiétait d’une grave injustice envers des êtres vivants, des femmes. On commet une injustice envers des individus vivants. Comment est-ce possible de commettre une injustice envers un construit social, l’Inde, par exemple, en dénonçant ses atrocités ? On pourrait demander à ce genre de chercheurs s’ils seraient prêts à accuser ceux qui critiquent les camps de la mort nazis ‘‘d’injustes’’ envers l’Allemagne, ou s’ils diraient que ceux qui écrivent pour dénoncer l’histoire de l’esclavage et du racisme en Amérique sont coupables ‘‘d’injustice’’ envers les États-Unis. […] Les chercheuses féministes doivent être conscientes de cette ruse […] Elle implique l’intimidation par des accusations de ‘‘parti-pris’’, afin que les autres n’écoutent pas la chercheuse discréditée qui a refusé de souscrire aux bons ‘‘rites’’.28 » D’ailleurs les livres de ces femmes disparaissent rapidement des rayons des bibliothèques et des librairies, et Daly nous encourage à les retrouver et à leur donner une seconde vie en les transmettant, sans se contenter des commentaires à leur sujet.
Le bandage des pieds des femmes en Chine a duré plus de mille ans. Mao Zedong y a mis fin. « L’utilisation des femmes en tant que bourreaux est plus évident dans le bandage des pieds chinois que dans le sati indien. Ces femmes emprisonnées et mutilées étaient obligées de croire que ‘‘si on aime sa fille, on ne peut pas aimer ses pieds.’’ […] Voici quel est le rôle des femmes utilisées en tant que bourreaux dans les sado-rituels : rendre plausibles ces interprétations erronées et perpétuer la haine et la méfiance parmi les femmes. […] Ce faux savoir encourage la haine de soi des femmes et leur méfiance envers les autres femmes. 29» Le travail d’Andrea Dworkin, qui a dénoncé ces faits dans Woman Hating (la haine des femmes) en les reliant à d’autres faits gynocidaires30 , « a bénéficié du même ‘‘traitement par le silence’’ que toutes celles qui dénoncent des atrocités et mettent leur interconnexion en évidence. […] La pensée vivante implique que l’on repère ce qui relie des phénomènes apparemment différents, par exemple ce qui relie les contes de fées et l’histoire gynocidaire. […] De l’histoire de Cendrillon, nous avons appris (ou étions censées apprendre) plusieurs leçons importantes : que de petits pieds sont essentiels pour être belle, que les belles-mères (les mères en réalité) sont cruelles, et que le plus grand malheur qui puisse frapper une femme est de ne pas être mariée. 31»
Les mutilations génitales des femmes en Afrique : sans entrer dans les détails de ces « atrocités barbares », je vais me contenter de citer Mary Daly assez longuement. « Certaines manifestations du syndrome sado-rituel sont indicibles – impossibles à exprimer avec des mots tant elles sont horribles. Tel est le rituel des mutilations génitales – l’excision et l’infibulation – que l’on inflige encore aux femmes partout en Afrique aujourd’hui, et qui était autrefois pratiqué dans de nombreuses parties du monde. Ces atrocités ritualisées sont aussi indicibles dans un autre sens, à savoir que dire/écrire la vérité à ce sujet, les nommer, est frappé d’interdit32. […] L’utilisation des femmes en tant que bourreaux fait de ce rituel un exemple horrible. […] Seule une femme mutilée est considérée comme 100 % féminine. En lui retirant son organe spécifiquement féminin, qui n’est pas nécessaire au plaisir du mâle, ni à la servitude reproductive, elle ‘‘devient’’ femme.33[…] Il ne faut pas beaucoup d’imagination pour comprendre que la profession médicale, au lieu de rejeter ces horreurs, en a fait une spécialisation, bénéfique pour ses propres intérêts économiques. […] Au-delà du racisme, il y a la sororité, qui consiste à nommer les crimes perpétrés contre les femmes sans faire preuve d’un respect irréfléchi envers ‘‘le tissu social’’ des diverses sociétés androcratiques34, y compris celle dans laquelle nous sommes emprisonnées. 35»
« La chasse aux sorcières en Europe fut une manifestation spécifiquement occidentale et chrétienne de l’état d’atrocité androcratique. Cette chasse aux sorcières se répandit dans toute l’Europe occidentale pendant les XVe, XVIe et XVIIesiècles. […] Il est bien connu que les sorcières étaient accusées d’impureté sexuelle. […] Il est clair que les prétendus fantasmes sexuels de ces femmes étaient des fantasmes typiquement mâles.36 »
Ironiquement, c’est l’invention de l’imprimerie, saluée généralement comme une victoire sur l’obscurantisme et un signe de « progrès », qui a permis à cette folie collective de s’étendre. Qui étaient ces femmes ? Il s’agissait de femmes possédant des talents de guérisseuses, de sage-femmes, de vieilles femmes souvent, et souvent pauvres, estimées mais parfois craintes par leur communauté pour les services qu’elles rendaient. Ceux qui les martyrisaient étaient des hommes d’une classe supérieure, dont le savoir était légitimé par l’Église, l’Université, les professions médicales en formation dont elles menaçaient le pouvoir économique et moral. On chercherait en vain des défenseurs de ces femmes parmi les « grands » philosophes de l’époque, soi-disant épris de rationalité et de liberté. Mary Daly compare l’intérêt morbide des inquisiteurs pour les prétendus fantasmes sexuels de leurs victimes à la pornographie que leurs équivalents modernes regardent avec plaisir et à leur usage et défense de la prostitution. Ajoutons que les intellectuels et philosophes de notre époque ne se préoccupent guère de la pornographie et de la prostitution, pas plus que de l’effacement programmé des femmes par l’idéologie transgenre (que Mary Daly évoque déjà à son époque). Les femmes qui s’élèvent publiquement contre ces « institutions » savent ce qu’il leur en coûte, la loi contre l’incitation à la haine n’est jamais appliquée quand il s’agit de les défendre contre les injures et les menaces de mort et de sévices, on se contente de parler de « harcèlement ». En revanche, elles tombent sous le coup de cette même loi en critiquant publiquement l’idéologie transgenre. Et puis il y a les féminicides, en hausse semble-t-il.
La gynécologie américaine : gynocide par les saints esprits de la médecine.
« De nombreuses féministes ont remarqué ce fait significatif : le massacre des sage-femmes/guérisseuses pendant la chasse aux sorcières a été suivi d’une augmentation des sage-femmes mâles qui finirent par s’anoblir en se nommant ‘‘gynécologues’’37. »
Mary Daly attire notre attention sur le fait que l’émergence de la gynécologie a eu lieu au XIXe siècle en réaction à la première vague de féminisme. « Car, bien sûr, le but et la vocation de la gynécologie n’était/n’est pas vraiment le soin, mais la mise à exécution violente du système de caste sexuelle : la clitoridectomie, par exemple, était destinée à « soigner » la masturbation féminine.38 » Certains médecins préconisaient l’ablation des ovaires pour soigner la prétendue « folie » de certaines femmes.
« Les divers types de psychothérapeutes sont les théologiens de la gynécologie. Ces théologiens et les médecins ‘‘en activité’’ spécialisés dont ils justifient l’existence représentent les deux fonctions complémentaires du saint esprit. Tous deux œuvrent à maintenir les femmes couchées, réifiées et
avilies – condition que symbolisent rituellement les étriers du gynécologue et le divan du psychiatre. Par leurs efforts combinés, ces spécialistes maintiennent de nombreuses femmes dans l’état de perpétuelles patientes dont le corps et l’esprit sont constamment envahis pas des objets qui leur sont étrangers – scalpels, aiguilles, speculum, piqûres d’hormones et pilules cancérigènes, écœurante image de soi, obsessions accumulées, dogmes abêtissants.39 »
Mary Daly décrit ensuite ce qui empêche les femmes d’advenir à l’Être Femme (le contraire de la femme chosifiée chère au patriarcat). « Les méthodes visant à entrer définitivement en possession de l’être et de la puissance des femmes se sont améliorées. Ces techniques sont conçues pour accomplir la solution finale la pré-possession. Il s’agit de s’assurer la possession d’une femme avant qu’elle ne puisse prendre conscience de son propre élan originel vers l’être. Cela implique des niveaux de destruction que le terme possession ne saurait exprimer. Pour que quelqu’une soit possédée, il faut d’abord qu’elle soit. Mais ici le but est précisément que le processus d’être se brise sur la roue des processions. La pré-possession signifie que l’être est condensé dans un état statique, qu’il est gelé. […] La condensation et le gel de l’être femme n’ont rien de nouveau. […] Cependant, dans le Nouvel Âge de Glace de Gynécologie Gynocidaire, des méthodes ont été ‘‘élaborées’’ pour exécuter ce projet avec une efficacité maximum. L’une des méthodes utilisée pour renforcer la pré-possession des femmes est la préoccupation. […] Son esprit est préoccupé par l’anxiété. […] Elle voit à travers des lunettes masculines. […] elle vérifie que ses cheveux, ses sourcils, ses cils, ses lèvres, sa peau, ses seins, ses fesses, son ventre, ses hanches, ses jambes, ses pieds, sont ‘‘satisfaisants’’. Ainsi, le besoin impérieux de cosmétiques, y compris de chirurgie esthétique, ne devrait pas être isolé du syndrome de la préoccupation gynécologique.
La préoccupation gynécologique/ thérapeutique/cosmétique l’empêche de voir sa propre vacuité. Elle entraîne le Moi fragmenté toujours plus avant dans un état obsessionnel à propos des parties de son corps qui sont devenues les symboles de son Moi perdu et pré-possédé. Réduite à n’être qu’un récipient/vassal, la victime se concentre désespérément sur ses symptômes physiques, sur ses souvenirs mal interprétés en thérapie, et sur son ‘‘apparence’’, consommant frénétiquement des médicaments, des conseils, des cosmétiques, et des vêtements afin d’habiller et de remplir sa vacuité croissante. À mesure qu’elle se transforme en consommatrice insatiable, sa transcendance se consume et elle se consume elle-même. […] Il est clair que le gynocide à l’Âge de la Gynécologie puise profondément dans le fétichisme. 40»
Or, le fétichisme est un problème masculin, comme l’illustrent l’autogynéphilie et le transsexualisme.
Dans un très long développement sur la médecine américaine, la gynécologie et la psychiatrie en particulier, et sur leurs dérives, Mary Daly conseille aux femmes de les éviter dans la mesure du possible, le plus sûr moyen de contraception étant de se passer des hommes. Et voici que ressurgit le thème du séparatisme qui nous questionne, accompagné ou non de lesbianisme.
Troisième passage :
Après avoir traversé toutes les horreurs patriarcales de la haine des femmes dans le second passage, il s’agit ici de « se recentrer et de créer un nouvel environnement dans lequel les femmes puissent se reconnaître.41 » Il faut sortir du monde des hommes, de ses mythes, de ses méta-rituels (sa culture, son savoir), de ce que Virginia Woolf appelait ses « processions » (voir Trois Guinées). Ce sont les premiers pas du Voyage en Gyn/Écologie.
Viendra ensuite un lieu à soi, et des lieux à partager avec d’autres femmes, car il s’agit de cultiver l’amitié avec les autres femmes, c’est l’une des choses que le patriarcat redoute le plus car il a pris soin de nous diviser pour régner. Cette amitié entre femmes ne saurait être une copie de la « fraternité » masculine et de toutes ses manifestations qui s’appuie sur l’énergie des femmes et les exclut.
Pour les femmes, cette amitié sera plus sélective car il faudra se nourrir les unes les autres, s’encourager, se renforcer mutuellement, ne pas se laisser entraîner dans le rôle de l’éternelle victime qui tourne en rond sans jamais tenter de briser ses chaînes parce qu’au fond, la cage est confortable et que la solitude fait peur.
Il faudra aussi retrouver ce lien primordial que nous avons largement perdu : le lien mère-fille. « C’est le lien fondamental, qui est si important pour l’acceptation de soi et le courage d’être seule ; c’est le lien que les professionnels de la société entièrement thérapeutique continuent à détruire au nom du soin. Ces usurpateurs/mères mâles aveuglent leurs victimes sur la réalité profonde de ce lien, ligotant mères et filles à la fois ensemble et séparément de telle manière qu’elles ne puissent pas vraiment se voir42. » C’est en reconnaissant la fille dans chaque femme que nous pouvons briser les chaînes du patriarcat. Mères et filles deviennent sœurs en lutte et elles redeviennent des amies.
Il nous faut aussi récupérer notre propre histoire passée et récente que le patriarcat occulte et efface sans cesse, à tel point que chaque génération de féministes a l’impression de repartir à zéro, de réinventer la roue. « L’expropriation patriarcale du ‘‘passé’’ et de la mémoire s’accomplit de diverses manières ainsi que dans les médias. Non seulement ‘‘l’histoire’’ mais tous les domaines académiques effacent et inversent l’histoire des femmes. Cette érosion/effacement/distorsion constante a également lieu dans l’art, les fêtes religieuses et les cérémonies de la religion civile, dans la musique/muzak, dans les rituels familiaux récurrents, à l’école et dans la ‘‘vie sociale’’. […] Des femmes qui auraient pu devenir des Sages Vieilles43 sont cooptées en tant que femmes-écrans dans toutes les professions. C’est ainsi que d’érudites professeures enseignent la propagande patriarcale comme si elle était ‘‘vraie’’ ; des avocates défendent des violeurs ; des femmes médecins dispensent des médicaments qui sont des poisons ; des femmes prêtres prêchent le sacrifice de soi aux autres femmes… C’est une liste sans fin44. »
Récupérer notre passé et le diffuser ; inverser les inversions patriarcales45 (la dernière en date étant qu’un homme peut être une femme mais qu’une femme biologique n’a plus le droit d’utiliser ce mot) ; cesser de prostituer notre esprit et notre talent pour être admises dans la grande fraternité patriarcale ; refuser d’être divisées ; créer nos propres lieux d’où le patriarcat sous toutes ses formes (y compris trans) sera exclu… J’en oublie sans doute, mais cela m’a tout l’air d’une feuille de route, d’un début d’itinéraire.
Annie Gouilleux
Lyon 5 octobre 2025
Relecture et Corrections : Lola et Ana
1 Mary Daly, Gyn/Ecology, The Metaphysics of Radical Feminism, Beacon Press, Boston, 1978, 1990.
2 Opus cité, New Intergalactic Introduction (1990), p. 14.
3 Idem.
4 Opus cité, Introduction, p. 26.
5 Cette longue citation est tirée des p.14 et 15 de la Nouvelle Introduction Intergalactique de Gyn/Ecology.
6 Elle utilise le mot anglais craft qui signifie art, artisanat, compétence, expertise, talent, habileté mais également habileté dans le sens de ruse.
7 Opus cité, pp. 24 et 27. Daly ajoute dans une note de bas de page qu’il ne s’était pas seulement agi pour elle de perfectionner « un simple instrument de destruction » mais de se réapproprier ce que cette tradition (philosophique et théologique) avait de profond et de valable.
8 Opus cité, pp. 18 et 1.
9 Ce n’est pas une faute de frappe.
10 Sisterhood is Powerful, édité par Robin Morgan, anthologie d’écrits féministes, 1970.
11 Ce n’est pas une faute de frappe.
12 Idem.
13 Idem.
14 Opus cité, pp. 27-28-29.
15 Virginia Woolf, Trois Guinées, 10/18, p. 167.
16 Idem, page 133.
17 Mary Daly, opus cité, p.33.
18 Opus cité, p. 37.
19 Idem, p. 39. Anomie : absence d’organisation ou de loi, disparition des valeurs communes à un groupe. L’anomie est aussi un trouble du langage qui se manifeste par la difficulté à trouver ses mots.
20 Idem, pp. 39-40.
21 Opus cité, p. 47. Daly ajoute ici une note pour expliquer que par « mythe gynocentré », elle ne se réfère pas à des histoires de dieux et de déesses, mais à celles qui émanent de l’expérience des femmes et qui transmettent des archétypes issus de notre préhistoire et parlent du pouvoir inhérent aux femmes.
22 Ce n’est pas une faute de frappe.
23 Opus cité, p. 57.
24 Opus cité, p. 89.
25 Opus cité, p. 111.
26 Katherine Mayo (1867-1940) était une historienne. Elle a publié Mother India en 1927, et déclenché la polémique dont parle Mary Daly assez longuement.
27 Opus cité, p. 129.
28 Idem.
29 Opus cité, pp. 139-140.
30 Ce n’est pas une faute de frappe.
31 Opus cité, pp. 151-152.
32 Note bas de page : « J’ai choisi de nommer ces pratiques pour ce qu’elles sont : des rituels/atrocités barbares. On intimide constamment les critiques issus du monde occidental en les accusant de racisme, au point de ne pas les appeler par leur nom, de ne pas les nommer, de ne pas voir ces sado-rituels. Les accusations de racisme peuvent provenir de l’ignorance, mais elles ne servent que les intérêts des mâles, pas ceux des femmes. Ce genre d’accusation et d’intimidation constitue une inversion stupéfiante et dommageable, car il est clairement dans l’intérêt des femmes noires que les féministes de toutes les races en parlent. En outre, c’est dans l’intérêt des femmes de toutes les races d’étudier les mutilations génitales africaines dans le contexte du patriarcat planétaire, dont elles ne sont qu’une manifestation. » Opus cité, p. 154.
33 Note de bas de page : « Il est intéressant de comparer ces tentatives de féminisation des femmes à la féminisation du mâle-vers-la femelle transsexuel. Ce dernier, qui se considère comme une femme (et parle des ‘autres’ femmes comme des ‘femmes de naissance’) subit des opérations qui lui retirent ses testicules et son pénis, le dotent d’un vagin artificiel, mais pas d’un clitoris. Ces deux tentatives mutilantes de féminisation reçoivent l’assentiment de la phallocratie. Voir Janice Raymond, L’empire transsexuel. » Opus cité, p. 167.
34 C’est le mot qu’a inventé Daly.
35 Opus cité, pp. 154-172.
36 Opus cité, pp.179-180.
37 Note bas de page : « Dans ce chapitre, j’utilise le terme gynécologie de manière large pour désigner toutes ces professions – y compris la psychiatrie et autres domaines psychothérapeutiques – qui se spécialisent dans ‘‘les maladies et l’hygiène’’ du corps et de l’esprit des femmes. J’utilise le terme gynécologue pour désigner tous les membres des professions dont les convictions et le comportement sont motivés par leur loyauté à l’égard de leurs domaines reconnus par le patriarcat plutôt que par le souci qu’ils ont des femmes. Comme je l’ai expliqué dans l’Introduction, il arrive que certains spécialistes dans ces domaines soient utiles aux femmes, mais cette utilité authentique existe en dépit de l’intention, de l’éthique et de la méthode omniprésentes dans ces professions. En outre, dans un nombre croissant de cas, l’efficacité de ces soignants consiste à réparer les dégâts causés par leurs collègues, c’est-à-dire les dégâts iatrogéniques. » Opus cité, p. 224.
38 Opus cité, p. 227.
39 Opus cité, pp. 229-230.
40 Opus cité, pp. 232-233.
41 Opus cité, p. 315.
42 Opus cité, p. 346.
43 Je traduis ici très mal le mot crone qui signifie « vieille femme, vieille bique » et que Mary Daly récupère à sa manière.
44 Opus cité, pp. 349-350.
45 Lire le livre de Francine Sporenda, La mystification patriarcale, éditions Libre, 2025.