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Image de couverture : Amande Acacia, https://www.instagram.com/amandeart_officiel/
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« Nous avons vu ce que, dans sa fuite apeurée devant la vie, l’homme fait subir au monde vivant et à ses créatures ; il est facile de deviner ce qu’il va faire au moment de la curée, nous connaissons le genre de transcendance désincarnée et délirante qu’il recherche. […] Nous connaissons la maladie et en avons retracé la pathogénie. Le pronostic, semble-t-il, est sans espoir. Il devient évident à ce stade que le patriarcat signifie la fin du monde.1 »
Cet ouvrage a fait l’objet d’un compte-rendu de lecture publié sur lesruminants.com. Il se terminait par une injonction à nous réapproprier la maîtrise de nos corps colonisés par le patriarcat, à cesser de collaborer avec nos oppresseurs et à cesser de cautionner leurs actes. Ailleurs, interrogée à propos de cet ouvrage et à ce qu’elle entend par « résistance politique organisée 2», Aurora Linnea mentionne un livre de Gene Sharp, publié en français sous le titre De la dictature à la démocratie3.
Gene Sharp cherche les solutions les plus efficaces pour désintégrer les dictatures à moindre coût en termes de souffrances et de vies humaines. Nous, les féministes radicales, nous aimerions avant tout dissoudre le patriarcat et la domination masculine dont nous pensons que dépend tout le reste.
Voyons ce qui dans une lutte politique « classique » (dirigée par les hommes) pourrait être récupéré par une lutte féministe radicale. Par exemple, page 24 : « Le problème des dictatures est profond. Dans de nombreux pays, les gens ont vécu des décennies et même des siècles d’oppression […] Une soumission inconditionnelle aux symboles et aux détenteurs du pouvoir a souvent été inculquée il y a longtemps. Dans des cas extrêmes, les institutions sociales, politiques, économiques, et même religieuses, de la société, ont été délibérément affaiblies, subordonnées, et même remplacées par de nouvelles institutions inféodées à l’État ou au parti en place, afin de contrôler la société. La population a souvent été atomisée, c’est-à-dire transformée en une masse d’individus isolés, incapables de travailler ensemble pour développer les libertés, une confiance mutuelle, ou même de faire quoi que ce soit de leur propre initiative. » Si l’on remplace « les gens » par la classe sexuelle des femmes et « dictatures » par patriarcat , on obtient une description synthétique de notre problème : le patriarcat existe depuis plusieurs millénaires, il a été et est imposé aux femmes, il concerne tous les aspects essentiels de nos vies (ce qui lui confère un aspect assez totalitaire), nous l’avons si bien intériorisé qu’il paraît quasiment naturel, nous sommes divisées, atomisées, constamment dressées les unes contre les autres, et il nous est extrêmement (et même de plus en plus) difficile de faire entendre notre voix.
Pour renverser une dictature à moindre coût, quatre tâches s’imposent selon Gene Sharp :
1) renforcer la détermination de la population opprimée et sa confiance en elle-même, et améliorer ses compétences pour résister ;
2) fortifier les groupes sociaux indépendants et les institutions qui structurent la population opprimée ;
3) créer une puissante force de résistance interne ;
4) développer un plan stratégique global de libération judicieux et le mettre en œuvre avec compétence.
Dans le cadre d’une lutte féministe, la tâche 1, c’est déjà tout un programme et, à la réflexion, c’est ce que les féministes tentent de faire depuis que le féminisme existe. La tâche 2 me paraît également relever de ce que font les féministes ; et elles le font dans le but de réaliser la tâche 3. Quant à la tâche 4, chaque lutte féministe élabore une ou ses stratégies selon le contexte.
Les problèmes récurrents des luttes féministes sont notre atomisation (telle que la décrit Sharp), nos faibles effectifs et notre invisibilisation systématique (voire la récupération pure et simple de nos luttes). Pour lutter efficacement contre n’importe quel adversaire puissant, il faut comprendre son fonctionnement. Il faut pouvoir prendre suffisamment de recul, s’en désengager suffisamment pour déjouer ses pièges. Bien qu’elle soit quasiment invisible, les études sur le genre ayant remplacé les études féministes dans les universités, nous avons une longue histoire féministe de critique du patriarcat. Nous avons aussi obtenu quelques victoires (fragiles et constamment remises en cause), ce qui permet à certain(e)s, par exemple Emmanuel Todd4 mais il n’est pas le seul, d’écrire que « les femmes ont gagné ». Il ne nous resterait qu’à crever « le plafond de verre » pour être les « égales » des hommes. Le féminisme radical juge cet objectif fort peu désirable, d’abord parce que l’égalité est impossible sous le patriarcat quand bien même les femmes exercent des professions autrefois réservées aux hommes ; et ensuite en raison du mauvais usage que les hommes ont fait du monde qui leur était donné ; les femmes qui accèdent à des postes importants le font en imitant les hommes, voir Mme Thatcher. Pour les féministes radicales, il s’agit d’abolir le patriarcat, pas de récupérer ses œuvres.
C’est la raison pour laquelle il me semble que notre époque a besoin d’une nouvelle période de « conscientisation » (prise de conscience), travail que le féminisme avait largement entamé dans les années 1960-1970 et qui a sombré dans le désastre du libéralisme qui a permis au patriarcat de s’adapter et de se transformer : « La perpétuation du capitalisme comme du patriarcat procède de leur capacité à évoluer, et ils ont fait preuve dans ce but d’une formidable adaptabilité et inventivité.5 […] Très peu [d’auteur(e)s francophones] se proposent de l’examiner globalement, d’en dégager les principales caractéristiques, les constantes, les variantes et les manifestations idéologiques, d’avancer des hypothèses sur son origine – biologique ou socialement construite – d’analyser ses liens avec le capitalisme et de déterminer si l’axe autour duquel s’est construite la domination masculine est le contrôle de la sexualité/reproduction des femmes ou leur exploitation économique. […] « le peu d’intérêt en France pour son étude historique et phénoménologique entraîne également une absence presque complète d’analyses de ses métamorphoses et redéploiements stratégiques récents : lorsque certaines formes de contrôle social des femmes, suite aux avancées du féminisme et aux évolutions socio-économiques découlant de la mutation néolibérale du capitalisme, ne semblent plus adéquates, elles sont alors remplacées par des modes opératoires plus adaptés au nouveau contexte (néopatriarcat). On trouve aussi peu d’analyses de l’opposition entre, d’une part, un patriarcat de type traditionnel s’imposant principalement par la violence et la contrainte théologiquement légitimées et, d’autre part, ce néopatriarcat libéral assurant plus subtilement son emprise par le recours à l’introjection de représentations falsifiées de la réalité et misant, pour perpétuer son pouvoir sur les dominées, sur la production d’une fausse conscience ou conscience aliénée plutôt que sur la violence et la contrainte – sans y renoncer totalement pour autant. […] Les principaux mythes et croyances de l’idéologie patriarcale (comme de toute idéologie) semblent invisibles parce qu’omniprésents, profondément infusés dans l’ensemble des structures sociales, véhiculés par les multiples canaux (médias, films, réseaux sociaux, etc.) de communication de masse, acceptés sans réflexion et ne nécessitant souvent aucune justification tant ils revêtent un caractère d’évidence. […] L’idéologie s’exprimant essentiellement par l’intermédiaire d’un discours insidieux et répétitif, une manipulation délibérée du langage lui sert à falsifier la réalité […] George Orwell a nommé ce langage idéologique ‘‘novlangue’’ – un idiome ad hoc où le sens des mots est manipulé, détourné de façon à ce qu’ils expriment le contraire de ce qu’ils signifient habituellement et où ils sont assemblés sous forme de slogans et de formules toutes faites. L’acquisition inconsciente de ce langage permet aux individus de faire face aux diverses situations auxquelles ils sont confrontés en mobilisant des réponses standardisées, une sorte de prêt-à-penser qui les délivre de la nécessité et de la possibilité même de penser. Ce langage convenu pense à la place de l’individu, dont le psychisme est ainsi investi par une pensée pour servir les intérêts de classe des dominants. Ses processus cognitifs eux-mêmes sont ainsi neutralisés, comme infectés par un logiciel pirate. Pour l’individu conditionné à s’exprimer dans un idiome inféodé aux détenteurs du pouvoir et qui ne dispose d’aucune autre opinion (et c’est particulièrement vrai pour les femmes, exclues de la parole autorisée depuis des millénaires), les moyens d’exprimer une pensée autonome sont, par définition, difficiles à trouver ; lorsqu’une telle pensée est néanmoins formulée, cela constitue une transgression : ‘‘Penser, c’est désobéir’’.6 »
Notre première tâche consiste donc à déjouer les pièges du discours dominant, à pénétrer sa novlangue et à remettre la réalité sur ses pieds – que l’on marche sur la tête est magistralement illustré par l’idéologie du genre qui tente d’effacer la définition même du mot femme. Francine Sporenda offre les pistes suivantes, et je ne peux que recommander chaudement la lecture du reste de son livre :
Et il est important ici de bien comprendre ce qu’est l’inversion, car « L’inversion patriarcale énonce ce que les femmes peuvent faire et ne pas faire, elle réaffirme la division sexuée des rôles sociaux.8 »
« Le schéma discursif de l’inversion est évident : il consiste à affirmer qu’une chose est exactement le contraire de ce qu’elle est. […] De tels énoncés visent à substituer à la réalité objective une réalité alternative alignée, conçue d’après le point de vue des dominants, et ce afin que la personne ciblée ne fasse plus confiance à sa propre perception, mais à un discours extérieur ‘‘autorisé’’. Comme l’avait noté Orwell, l’inversion est un instrument essentiel du contrôle idéologique des classes dominées, à tel point que la fréquence des inversions dans un discours est indicative de son caractère idéologique. […] Les inversions fonctionnent en général sur le schéma de la double projection : les hommes projettent sur les femmes certaines de leurs caractéristiques négatives (‘‘les femmes ne savent pas conduire’’, ‘‘les femmes parlent trop’’) ou inversement s’approprient leurs caractéristiques positives (la capacité de protéger, celle d’enfanter […] 9»
Ainsi armées intellectuellement, et cette prise de conscience est indispensable, il est peut-être possible de prendre un peu de recul et d’envisager, a minima, de refuser de participer à notre propre infériorisation/invisibilisation. Nous avons également besoin de nous « rassembler » et de disposer d’espaces qui nous soient propres. Un centre féministe autogéré comme celui de Lyon, par exemple, qui accueille tout le monde « sauf les hommes cis » ne me paraît pas être un lieu qui nous soit propre puisque des hommes (se disant femmes) y ont accès. Il en va de même dans l’édition « malestream10 », de plus en plus soumise à la doxa officielle « inclusive », si inclusive, en fait, qu’elle exclut les femmes, c’est-à-dire celles qui pensent qu’il n’y a que deux sexes et que l’on ne peut pas en changer, les TERFs, donc, très mal accueillies à Lyon. Il en va de même pour les médias, même (et peut-être surtout) ceux qui se prétendent alternatifs (Médiapart en tête).
Gene Sharp donne quelques pistes intéressantes de non coopération : boycott social de certains groupes, exclusion de certaines personnes dans les réunions non mixtes. On peut aussi refuser de participer à des évènements festifs ou non, des coutumes et des institutions sociales. On peut désobéir à certaines directives et même démissionner. On peut recourir à la non coopération économique en boycottant des produits, des entreprises, des marques. On peut faire la grève du zèle ou la grève tout court.
Il est parfois tentant de se retirer totalement du système social lorsqu’on en a la possibilité et même d’établir des institutions sociales et économiques « alternatives ». On peut être tenté par un certain degré de séparatisme. Le séparatisme a mauvaise presse et il n’est sans doute pas souhaitable à très long terme. Mais lorsqu’il s’agit de définir des stratégies de lutte, tous les groupes politiques se réunissent séparément. Les féministes des années 1970 ont adopté le séparatisme en tant que stratégie, comme le rappelle Susan Hawthorne11 dans un petit ouvrage intitulé In Defense of Separatism, publié en 2019 chez Spinifex Press et non traduit en français.
Comme le démontre Francine Sporenda, nous sommes entrées dans une période de backlash, ou « retour de bâton » depuis les années 1980-90. Le patriarcat capitaliste (ou capitalisme patriarcal) s’adapte et impose des conditions économiques qui désavantagent encore les femmes. Nos stratégies doivent aussi s’adapter. Voici comment le présente Susan Hawthorne12 :
« Il existe une différence importante […]entre le séparatisme et la ségrégation. […] La ségrégation est un exemple de pouvoir coercitif, une manifestation de la domination. Le séparatisme est un outil de résistance à l’oppression, un refus d’accorder son soutien ou d’agir, une stratégie potentielle de libération. Tous deux sont de puissants outils politiques. […] En outre, le féminisme est intrinsèquement séparatiste, du moins a minima, puisque les hommes ne sont pas admis dans les groupes de conscientisation, les groupes d’action, les réunions et dans la plupart des refuges pour femmes. […] Est séparatiste toute action, évènement ou organisation qui permet aux femmes d’y participer séparément pour des raisons politiques. […] Le séparatisme lesbien n’est qu’une partie de cette stratégie. Et si un petit nombre de femmes l’adopte, la contribution politique de ces femmes est considérable. Notons que lesbiennes et hétérosexuelles travaillent ensemble à la réussite de leurs objectifs féministes. […] Adopter la stratégie du séparatisme ne signifie pas que les femmes qui en font le choix cesseront de travailler pour et avec les femmes non séparatistes, mais cela signifie bien qu’elles n’ont plus l’intention de travailler pour le bénéfice des hommes, ni de soutenir les hommes. Ne plus avoir de relations avec eux peut atténuer les conflits, et ainsi nous donner davantage d’énergie pour réfléchir à la nature hétérosexiste de la société patriarcale. […] Le séparatisme est une stratégie politique qui a pour fin de changer la société. Nous contribuons tous à la forme que revêt la société et si nos actions s’appuient sur une analyse politique et s’il y a une cohérence entre notre analyse et nos actions, alors jusqu’à un certain point, on peut peser sur la forme que prend la société en espérant que ce que l’on crée aboutira à quelque chose de nouveau et à la fin de l’oppression. Le séparatisme ne signifie pas que les femmes n’auront plus aucun contact avec les hommes, mais que ces contacts ne sont pas avant tout destinés à soutenir les hommes, mais qu’ils visent à soutenir les femmes, car soutenir les hommes accroît leurs capacités à obtenir du pouvoir sur les femmes. En limitant le temps que l’on passe avec les hommes, on dispose, du moins indirectement, de plus de temps pour lutter en faveur des femmes. […] Le but du féminisme que l’on cite le plus souvent est la libération de toutes les femmes, et par conséquent de tous les hommes. Ainsi le féminisme nous concerne tous. Aucun groupe en quête de sa libération ne s’est jamais engagé à libérer son adversaire en priorité – la libération des oppresseurs ne se produit que si et seulement si les opprimés se sont d’abord libérés. Les peuples opprimés (y compris ceux qui sont engagés dans une guerre d’indépendance) ont leurs propres communautés où ils peuvent se soutenir mutuellement, et c’est ce dont l’hétérosexualité et le mariage/la relation de couple prive souvent les femmes. »
Ce n’est pas faute d’avoir combattu à leurs côtés au cours des siècles, mais chaque fois ils nous ont effacées de l’histoire et nous ont divisées. La seule émancipation qu’ils semblent envisager actuellement est de s’affranchir totalement de leur corporéité pour se transformer en cyborgs. Ce sera sans nous.
(En annexe, je vous propose la traduction d’un essai de Jo Drew (féministe radicale et coordonnatrice au WDI : Women’s Delaration International pour la défense de nos droits basés sur le sexe) qu’elle a publié sur son site et qu’elle a intitulé : Comment rompre avec le patriarcat en six étapes faciles13.)
Annexe
Comment rompre avec le patriarcat en six étapes faciles ?
Jo Brew, traduction Annie Gouilleux.
Vous êtes accro au patriarcat ? Cela vous inquiète d’avoir sans cesse besoin de céder aux exigences d’hommes puissants et sexistes ? Les séances chez l’esthéticienne vous coûtent une fortune et vous font perdre trop de temps ? Teindre vos cheveux vous sape le moral ? Vous voulez arrêter mais vous ne savez pas comment faire ? On vous a peut-être dit que c’est impossible de rompre avec le patriarcat parce qu’il nous est imposé et que ce n’est pas un choix ? Je vais vous aider
Ce guide vous explique comment on peut rompre avec le patriarcat, exactement comme on peut cesser de fumer, de manger de la nourriture de mauvaise qualité ou de boire de l’alcool. Il révèle le cycle de peur/soulagement qui est au cœur de l’addiction.
L’un des avantages du guide de Jo Brew est de fournir les outils nécessaires pour rompre pour de bon avec l’essentiel du patriarcat, sans recourir à la volonté ou à un chewing-gum spécial, ni à des réunions de soutien – pas besoin d’aller aux Patriarcat Anonymes. La plupart de temps, il n’y a pas de symptômes de manque. C’est un manuel destiné à vous aider à être autonome, il vous fournit les outils nécessaires pour transformer avantageusement votre vie en abandonnant cette pratique nocive qui consiste à faire plaisir au patriarcat. Vous économiserez beaucoup d’argent et de temps. Ce guide inclut un processus en six étapes qui vous aidera à rompre pour de bon et d’un seul coup.
Vous vous demandez peut-être comment les femmes peuvent rompre avec le patriarcat alors qu’il nous est imposé par et pour les hommes. Ce n’est pas comme le tabagisme, qui est un choix, un acte que l’on peut contrôler. On peut choisir de prendre une cigarette et de l’allumer ou non, mais le patriarcat nous est imposé, c’est tout à fait différent. Ce qu’il y a de bien avec cette nouvelle méthode révolutionnaire pour changer de vie, c’est qu’elle fait la différence entre les aspects du patriarcat qui vous sont imposés et avec lesquels il est difficile ou impossible de rompre, et ceux qui donnent à beaucoup de femmes la possibilité de choisir, par exemple porter des talons hauts, du rouge à lèvres et cuisiner pour les hommes. Elle s’appuie sur l’expérience et la sagesse de nombreuses femmes et filles qui ont réussi à cesser de promouvoir le patriarcat et de s’y soumettre et ne le regrettent pas. Là où le choix existe, ce guide vous explique un processus en six étapes facile à suivre.
Pour écrire ce guide, j’ai inventé les mots « patriarcher » et « patriarchage 14» qui désignent une ou plusieurs actions que l’on fait sans y penser ; ce sont des actions qu’accomplissent les femmes qui s’alignent avec ou promeuvent le patriarcat. Cela aidera les lectrices à repérer les similitudes entre les mauvaises habitudes telles le tabac, l’alcool, la nourriture de mauvaise qualité, et l’ensemble des habitudes nocives mais qui agissent comme de véritables drogues et nous obligent à agir de manière patriarcale. Pourquoi au lieu de dire « patriarcher » ne pas dire « se soumettre au patriarcat » ? Ce qui peut sembler une bonne manière de dire que les femmes sont contraintes à agir sous le règne des pères et des frères. Mais le verbe « se soumettre à » pose problème parce que la plupart des femmes et des filles accro au patriarcat ne voient pas leurs actes comme de la soumission. Elles les voient comme des actes empouvoirants.15 Celles qui agissent de manière à s’aligner sur ou à soutenir le patriarcat n’ont pas toujours l’impression de se soumettre. Trahir les autres femmes, comme l’a fait Margaret Thatcher, peut valoir une belle récompense à certaines femmes. De même, en Occident, les journalistes femmes portent presque toujours de ridicules talons aiguilles, ce qui est une trahison des autres femmes, mais semble être une condition sine qua non pour obtenir le poste. La journaliste se sent peut-être empouvoirée à titre personnel par sa soumission au patriarcat et ne voit pas qu’elle se soumet pour obtenir un travail, déclarant ainsi publiquement que toutes les spectatrices doivent se soumettre pour obtenir de bons postes.
Tout comme les fumeurs achètent des cigarettes, éprouvent une brève bouffée de plaisir avec tous ses effets nocifs sur leur santé, leur porte-monnaie et leur vie sociale, les femmes et les filles se font avoir par le patriarcat, ressentent un bref instant de plaisir et de soulagement, auquel succède la détérioration de leur santé, de leurs finances et de leur statut social. Le patriarchage affecte négativement toutes les femmes en tant que caste 16de sexe parce que c’est une nouvelle injonction à nous opprimer nous-mêmes et à être loyales au patriarcat. Le patriarcat est ce système de domination masculine dirigé par les hommes au niveau global et individuel. Pour les femmes, le patriarchage consiste à accomplir des actes de soumission au patriarcat et ce guide explique comment cesser de le faire. Fumer est à l’industrie du tabac ce que patriarcher est au patriarcat.
Le terme « patriarchage » convient également mieux que « se soumettre au patriarcat » parce qu’il est plus court, plus facile à prononcer. Il est moins encombrant et il est plus facile de s’y référer rapidement. Il détermine sa propre signification plutôt que d’emprunter des significations existantes.
Avant d’essayer de rompre, il est utile de mieux comprendre ce que signifie patriarcher : comment fonctionne le patriarchage, comment il se déclenche consciemment ou inconsciemment et comment il nous retient. La télévision, les médias mainstream, la publicité et une grande partie de la société ont normalisé le patriarchage au point que les femmes reçoivent sans cesse des messages qui en font la promotion. Prenons l’exemple des ongleries, boutiques désormais omniprésentes dans la plupart des artères commerçantes. Lorsqu’une femme patriarche, comme lorsqu’elle mange de la nourriture de mauvaise qualité ou fume, elle éprouve immédiatement une sensation de bien-être. Par exemple, lorsqu’elle prévoit un soin des ongles dans une onglerie, cela lui remonte le moral de savoir que dans cette boutique, on sera aux petits soins pour elle, on bavardera avec elle, on s’occupera d’elle. C’est un sentiment à la fois physique et psychologique. Cette perspective peut la mettre de meilleure humeur. Une fois au salon, elle se sent probablement en sécurité, heureuse que l’on s’occupe d’elle. Elle se voit peut-être un peu comme une princesse ou une reine, le genre de femme gagnante sous le patriarcat. Elle a l’impression rassurante que le monde a du sens et qu’elle fait partie de l’élite. Elle paie pour éprouver ce sentiment, même transitoire, de faire partie des femmes privilégiées sous le patriarcat. Ainsi elle se rallie au patriarcat et le soutient. Elle croit que son statut en bénéficiera. De longs ongles vernis de couleur vive accroissent son capital-respect dans la société patriarcale. Mais ce sentiment positif est éphémère et se dissipe rapidement. Cela peut se gâter un peu lorsqu’elle passe à la caisse, surtout si elle n’a pas beaucoup d’argent et sait qu’elle aurait pu le dépenser à meilleur escient. Cependant, les jours suivants, la vue de ses ongles brillants lui remonte le moral, d’autant plus si elle reçoit des compliments. Revers de la médaille : les ongles sont souvent très longs et gênants, voire dangereux, pour jardiner ou faire la vaisselle. Un conflit surgit entre le fantasme auquel elle a adhéré, celui d’être une précieuse princesse dont le patriarcat reconnaît la valeur, ce qui lui fait du bien, et la réalité qui l’a rendue incapable d’accomplir plusieurs tâches productives. Cela peut lui faire prendre conscience qu’elle a renforcé le système qui l’opprime.
Le patriarchage est une addiction, une mauvaise habitude inculquée aux filles par le biais de la télévision, des médias sociaux, des galeries marchandes, des écoles et des communautés. C’est comme manger de la nourriture de mauvaise qualité, boire de l’alcool et fumer. Ce n’est pas nécessaire pour survivre, mais les grandes industries et leurs intérêts en font la promotion et s’enrichissent grâce à nos addictions malsaines. Prenons le maquillage et l’industrie de la beauté. Les filles sont progressivement éduquées à se maquiller et à utiliser de nombreux produits de beauté.
L’industrie de la beauté s’engraisse en vendant ses produits aux femmes et c’est sans doute l’une des raisons pour laquelle le cycle ne s’interrompt pas. Mais on peut expliquer cette addiction de manière plus individuelle. Car le patriarchage soulage de l’anxiété et de la peur. L’émotion de base qui conduit les femmes à patriarcher est l’anxiété et la peur de la violence masculine. Les femmes craignent aussi parfois de perdre leur travail (ce qui est réellement une forme de violence puisque nous dépendons d’un revenu pour survivre). La violence des hommes génère la peur que les femmes soulagent en patriarchant.
Prenons comme exemple la femme qui demande à son mari de laver son assiette avant de partir au travail. Il refuse en disant que ça le retardera. Il tape du poing sur la table de la cuisine et sort en claquant la porte sans dire au revoir. Elle est terrorisée. Pourrait-il devenir violent ? Son cœur commence à battre la chamade… elle se retrouve en train de nettoyer la maison plus consciencieusement que d’habitude et reste tendue toute la journée – où le mènera sa colère ? Il rentre et constate qu’elle a tout nettoyé. Lui, le patriarche, a été nourri : c’est ça le pouvoir. C’est le pouvoir patriarcal – le pouvoir sur une femme qu’il a contrôlée, avec juste une touche de violence de basse intensité. Cet avertissement est renforcé par les informations à l’heure du déjeuner par ses frères sur les médias « malestream », qui rapportent qu’une nouvelle femme a été tuée par son mari. Comme dans le cas du terrorisme, même s’il est peu probable que cela vous arrive, la peur est réelle. Son nettoyage à fond que motivait la peur que lui inspirait son mari est une façon de lui marquer son respect, de montrer sa soumission, de lui demander de ne pas l’attaquer. Il y gagne quelque chose et elle y perd quelque chose. Elle se sent plus en sécurité, son anxiété et sa peur régressent, jusqu’à la prochaine alerte et crise de panique, et elle se retrouve à patriarcher à nouveau.
Tout comme la caféine crée une dépendance parce qu’à mesure que son effet diminue, le buveur de café ressent un léger mal de tête qui va en s’accentuant, se sent somnolent et déconcentré, le patriarcat crée chez les femmes un désir récurrent de s’excuser, d’apaiser, de participer à des rituels de soumission ou de marquer son respect. Chaque acte de patriarchage allège la peur et l’anxiété de la femme, mais nourrit le monstre matériellement et spirituellement, le rendant plus fort, et la rendant, elle, plus faible. Pour le patriarcat, la ruse consiste à engendrer la peur que les femmes soulagent en patriarchant. Le secret de l’addiction est que le patriarchage soulage de la peur et de l’anxiété que cause le patriarcat.
Patriarcher dévitalise. On devient accro et il est difficile de se libérer parce que l’on éprouve un sentiment de sécurité et un soulagement en patriarchant. Autrefois, de nombreuses femmes croyaient en la religion (baptisée opium du peuple par Marx) et n’y croient plus aujourd’hui. Ce qui prouve qu’il est tout à fait possible de se libérer. Ce guide aidera les femmes à rompre aussi avec le patriarcat.
La conscience et le subconscient apprennent que les effets négatifs du patriarcat peuvent être atténués par le patriarchage, par le fait d’accomplir un acte patriarcal. Ce sont les mères, l’école primaire, les médias qui enseignent aux filles et cet enseignement est renforcé tout au long de la vie. En principe, cela ne se désapprend pas. Au contraire. S’il arrive à une femme de se sentir anxieuse ou d’avoir peur (à cause du patriarcat – il faudrait inventer un mot pour désigner ce genre de peur/anxiété), parce qu’elle a entendu parler de l’agression sexuelle d’une femme dans le parc, et qu’elle décide d’alléger son anxiété par exemple en se maquillant ou en cuisinant pour un homme, son malaise sera atténué pour quelques heures. Elle apprend que le patriarchage adoucit les effets pénibles du repli hors du patriarcat. C’est comme un carrousel, elle n’arrive pas à en descendre.
À mesure que s’effacent les effets du patriarchage, le besoin impérieux se fait à nouveau sentir. Patriarcher ne consiste pas seulement à agir de manière féminine. C’est aussi lorsqu’une femme se repose sur un homme ou des hommes en général. C’est aussi soutenir le football masculin ou regarder de la pornographie.
Certaines femmes sont-elles nées soumises au patriarcat et plus susceptibles de devenir accro au cycle de peur-déclencheur-encouragement-soulagement-et à nouveau peur ? Ou bien cette habitude/addiction s’est-elle développée avec le temps ? Pour ma part, je crois qu’elle se développe et s’enracine au fil du temps. Par exemple, il est plus probable qu’elle se développera chez une fille dont la mère patriarche régulièrement et chez qui le patriarchage est un problème. Il est important de comprendre que les filles et les femmes apprennent à patriarcher, et deviennent de plus en plus accro pendant toute leur vie. Ce n’est pas un état naturel et il n’est pas inévitable. Il s’agit plus d’éducation que de nature. Pour perdurer, le patriarchage doit être encouragé et enseigné – par les parents, les familles, les institutions, les médias. C’est l’une des raisons pour laquelle le patriarcat ne tolère pas les espaces réservés aux femmes qu’elles-mêmes s’adjugent. Là où existent des espaces sûrs, hors du patriarcat, méta-patriarcaux, ils sont envahis et attaqués, tels ceux auxquels exigent d’accéder les hommes qui se déclarent femmes. Ce qui explique en partie le soutien que le patriarcat apporte à l’idée ridicule que les femmes trans sont des femmes, car ce soutien est motivé par le désir d’empêcher les femmes de s’échapper.
Être féminine en se maquillant est une forme de patriarchage. Si l’usage du maquillage est actuellement très répandu, c’est parce que les femmes sont si nombreuses à l’utiliser que la pratique s’est normalisée. Ce qui ne le rend pas sain et n’en fait pas un bon choix pour autant. Actuellement au Royaume Uni, 83% des femmes se maquillent, mais cela pourrait changer. De plus en plus de femmes cessent de patriarcher. Certaines arrêtent très tôt, les lesbiennes notamment, car elles n’en voient pas l’intérêt. Et ce sont souvent les femmes d’un certain âge qui s’arrêtent.
Maintenant que vous comprenez cette addiction, vous êtes prête à chercher comment y mettre fin. Cela signifie qu’il faudra changer votre manière de voir pour vous concentrer sur les avantages qu’il y a à s’arrêter et à être consciente des inconvénients si l’on continue. Je vous suggère ce processus en six étapes facile à suivre :
Le plus grand bien de tous est celui que vous faites à votre porte-monnaie. Les produits de beauté coûtent cher. Vous pourriez dépenser cet argent à des choses plus favorables à votre santé et à votre bien-être. Ajoutez à cela toutes les heures de travail non rémunéré que vous faites pour les hommes, le temps perdu à être gentille, à acheter des vêtements inutiles, et songez à toute l’aide que vous leur apportez sans contrepartie.
Patriarcher, c’est comme fumer – c’est un poison, et il n’y a pas de seuil sûr. Il faut vous arrêter complètement, d’un seul coup. Vous éprouverez peut-être des symptômes de manque et l’envie de rechuter, mais cela passera. La plupart des femmes qui ont arrêté disent qu’elles ne recommenceraient pour rien au monde.
Inévitablement, certains de vos amis, de vos collègues, des membres de votre famille, de vos connaissances, ne voudront pas que vous arrêtiez. Ce seront peut-être des hommes qui aiment patriarcher parce que ça leur donne l’impression d’appartenir à une fraternité, à une « caste de sexe » dirigeante, ou pour les avantages que leur offre un système pipé en leur faveur (salaires plus élevés, dîner tout prêt, plaisir sexuel). Ce seront peut-être des femmes ou des filles qui patriarchent régulièrement. Si possible, lâchez-les, passez à autre chose. Ce ne sont pas de vrais amis. Les vrais amis veulent ce qu’il y a de mieux pour vous, ils ne veulent pas vous voir accro à une mauvaise habitude qui vous fait du mal.
Tout comme cesser de boire peut signifier éviter les bars, cesser de patriarcher peut signifier éviter les parfumeries et les coiffeurs.
Bien entendu, vous ne serez pas libre de lâcher ou d’éviter tous ceux qui patriarchent, mais dans certains cas, vous pourrez vous éloigner d’amis qui ne vous soutiennent pas. Passez davantage de temps avec des gens qui ont déjà cessé de patriarcher. De nombreuses femmes ont déjà rompu avec le patriarcat, elles vous soutiendront souvent volontiers dans votre vie post patriarcale. De nos jours, il existe aussi des communautés en ligne auxquelles vous pouvez vous joindre et où vous pouvez échanger des conseils pendant que vous tentez de vous débarrasser des habitudes misogynes de haine des femmes.
Certaines femmes redoutent de ne pas profiter de la vie si elles ne peuvent pas patriarcher. L’un des obstacles à cette rupture est la perspective apparemment déprimante de ne plus aller faire des courses et acheter des produits de beauté avec des amies ou de perdre le sentiment luxueux de se faire soigner les ongles dans une onglerie, ou encore de rater le bavardage amical chez le coiffeur. Paradoxalement, ce sont des moments de la vie des femmes qui ont lieu dans un environnement exclusivement féminin, où elles sont à l’abri des regards masculins, de la violence éventuelle des hommes ou de leurs critiques. Il faut savoir que le prix à payer pour ce moment de patriarchage est très élevé. Les milliers d’euros, les produits toxiques, les dégâts corporels, le temps perdu. Sheila Jeffreys décrit tout cela dans un livre génial intitulé Beauty and Misogyny, dans lequel elle expose les effets délétères de l’industrie de la beauté.
On a souvent l’impression que toutes les femmes du monde patriarchent et que ne pas le faire serait faire tache, être seule et être ostracisée. Certes, c’est ainsi que les médias malestream présentent les femmes. Les gens qui boivent disent souvent qu’ils ne pourraient pas sortir et s’amuser sans boire. Dans leur esprit, l’alcool est associé aux bons moments. De même, de nombreuses femmes disent qu’elles se sentiraient mal à l’aise dans une soirée ou une réunion si elles ne portaient pas des talons hauts, du maquillage et une robe décolletée. Elles se singulariseraient et sont certaines qu’on les éviterait. Elles tentent de se protéger de la crainte d’être rejetées par la société. Pour éviter cela, sortez avec des amies qui ont aussi rompu avec le patriarcat, ou n’allez pas dans ces soirées. Nous avons vraiment le choix, et de plus en plus de femmes le font. On peut espérer que dans quelques années, le patriarchage sera aussi rare que le tabagisme.
L’un des secrets les mieux gardés du monstre qu’est le patriarcat est son besoin constant d’être nourri. Ce qui sustente le patriarcat n’est pas seulement de nature matérielle, mais aussi visuelle, théorique et sociale. Tout ce qui nourrit le monstre est nocif. Le monstre peut être un homme assis à table en face de vous, en train de manger la nourriture que vous avez cultivée, récoltée, cuisinée et que vous lui avez présentée. Ce peut être un groupe d’hommes en train de conforter leur sentiment d’appartenir à la classe de sexe dirigeante en vous regardant marcher difficilement avec vos talons hauts et votre jupe courte. Ce peut être le monstre patriarcal de l’industrie cosmétique qui s’abreuve financièrement au désir des femmes de prouver leur bonne volonté à remplir le rôle qu’on leur a attribué à l’avance, la féminité. Une fois que l’on comprend qu’encourager le patriarcat, c’est engraisser le monstre, on comprend comment on peut cesser de le nourrir.
Le patriarchage nourrit le patriarcat que vous avez intériorisé, ce monstre misogyne. Nous en avons presque toutes intériorisé un. C’est une autre manière de décrire la misogynie que nous avons intériorisée. Vous pouvez tuer votre patriarche interne en ne le nourrissant pas. Moins vous le nourrissez plus il s’affaiblit et diminue. D’autre part, si vous le nourrissez il devient plus fort et prend carrément le dessus. Vous vous retrouvez dans une situation où vous devenez une sorte de robot pour le patriarcat parce que votre patriarche interne vous a écrasée, a écrasé votre véritable moi. Une femme peut finir avec un patriarche interne qui a pris le contrôle de son corps. Hélas, le patriarche intériorisé est encouragé et soutenu par les institutions patriarcales globales. Le patriarche intériorisé se sent menacé à l’idée que vous pourriez arrêter le patriarchage, car cela signifiera sa dévitalisation, sa mort. Il pique une crise terrible pour conserver le contrôle.
En outre, chaque fois que vous nourrissez le monstre patriarcal, vous vous affaiblissez. C’est humiliant. Donner à un homme, qui vous remercie à peine, le fruit de votre travail est une forme de soumission. C’est humiliant d’être constamment menacée de violences. Donc, chaque fois que vous avez le choix, exercez-le. Le courage génère partout le courage, et votre courage en inspirera d’autres.
L’acte de participation au patriarcat, le patriarchage, permet à cette idéologie d’envahir votre cerveau. Il transforme votre personnalité et modifie vos habitudes. Au bout d’un certain temps, vous vous y êtes habituée et vous êtes en phase avec lui. Vous n’êtes pas obligée de choisir cela. Vous pouvez rompre avec lui en grande partie. Parmi les femmes que je rencontre, les plus en forme et en bonne santé sont celles qui ont cessé de patriarcher, dépensent leur argent et passent leur temps à s’épanouir, à vivre pour elles-mêmes, pour la nature, et pour les autres femmes libres. Le sentiment de bien-être et de sécurité que l’on ressent en se désengageant du patriarcat est tellement meilleur que le soulagement éphémère que l’on ressent sous son emprise.
Pour vous aider à accomplir cette rupture, sortez du patriarcat et éloignez-vous des déclencheurs. Cessez de regarder la télévision malestream et d’écouter la radio malestream. Liez-vous d’amitié avec des femmes qui ont rompu avec le patriarcat et le patriarchage. Si vous vous souvenez que le patriarcat est un poison, et que le soulagement que vous éprouvez en vous soumettant n’est que temporaire et que l’encourager, c’est nourrir le monstre, vous verrez que chaque fois que c’est possible, si vous évitez le patriarcat, vous pourrez dans une large mesure vous en échapper.
Les risques existent. Il est possible que vous perdiez des amis et votre travail. Votre petit ami peut vous lâcher, mais ce serait probablement pour le mieux. Ou bien vous pouvez décider de le lâcher vous-même parce que vous comprenez qu’il fait partie du problème. Vous pouvez rencontrer une amie qui ne patriarche pas. Le bon côté de la chose est que vous serez délivrée du cycle de peur-anxiété-soulagement, etc.
Parmi les nombreuses raisons de rompre avec le patriarchage, le fait que vous envoyez des signaux négatifs aux autres femmes lorsque vous êtes sous son emprise n’est pas négligeable. La mère qui met une robe sexy et des talons hauts pour sortir avec son mari en costume et bottines signale à sa fille que les occasions spéciales exigent que les femmes aient l’air soumises. Si elle exige la même chose de sa fille, elle transmet ce préjugé aux générations suivantes. La fille se sentira trahie par sa mère, surtout si elle lui dit que c’est pour rire, que c’est un choix. La fille sera désorientée en voyant le comportement soumis de sa mère.
Conclusion. Ce guide vous a donné quelques outils pour abandonner, dans la mesure du possible, votre participation active au patriarcat. Bien entendu, certains aspects du patriarcat échappent à notre contrôle et nous sont imposés. Par exemple, nous sommes obligées de payer des impôts qui sont dépensés à soutenir le patriarcat. Nous ne pouvons pas mettre fin à la violence des hommes, ni nous emparer de la télévision mainstream. Mais au moins, aussi simplement que cela, nous pouvons ne plus choisir de participer, nous pouvons améliorer nos vies et participer collectivement à l’affaiblissement du pouvoir patriarcal.
Dans ce guide, j’ai employé le terme patriarcher pour rendre cette rupture plus facile. Mais qui voudrait patriarcher ? Si vous voyez cela comme un choix, alors vous pouvez choisir de rompre avec lui. Soulager la peur du patriarcat en se soumettant au patriarcat n’est pas la bonne réponse. La bonne réponse consiste à le rejeter. Soyez courageuses. Et n’allez pas le chercher. Évitez-le. Ne vous approchez pas. Les hommes veulent nous faire croire que le patriarcat est naturel, éternel, omniprésent ; ils veulent que nous ayons perpétuellement peur et que nous nous soumettions, que nous leur rendions les honneurs. Mais nous pouvons descendre du manège.
Note de la traductrice
Parmi les aspects du patriarcat sur lesquels nous avons peu de prise, figurent les technologies. Pour avoir travaillé sur ce sujet depuis une quinzaine d’années, je sais qu’elles ne sont pas appropriables dans l’optique d’une société émancipée, égalitaire et vraiment démocratique car ce sont des techniques autoritaires.
Hélas, si les féministes radicales veulent entrer et rester en contact, nous sommes obligées de nourrir la bête et d’y avoir assez lourdement recours.
Nous en parlons peu et pourtant, il faudrait en débattre. Nos aînées ne disposaient pas de tous ces moyens et cependant, le mouvement des femmes était beaucoup plus fort.
Annie Gouilleux
1 Aurora Linnea, Man Against Being, Spinifex Press, page 209.
2 Opus cité, pages 246-247.
3 Gene Sharp, De la dictature à la démocratie, un cadre conceptuel pour la libération. L’Harmattan, 2009, réédité par l’École de la Paix en XXXX, et c’est cette version que j’ai lue. VERIFIE SUR LE LIVRE QUE TU AS JE N’AI PAS NOT2 LA DATE
4 Le livre de Todd, Où en sont-elles ? Une esquisse de l’histoire des femmes. C’est le livre paresseux d’un intellectuel qui se croit habilité à parler à la place des intéressées de ce qu’il n’a même pris la peine d’étudier sérieusement.
5 Francine Sporenda, La mystification patriarcale. Éditions LIBRE, 2025.
6 Opus cité, pp.13-14-15. Ces citations sont tirées de l’introduction du livre de Francine Sporenda.
7 Opus cité, pp.15-16-17-18.
8 Opus cité, page 325.
9 Opus cité, page 324.
10 Malestream, terme utilisé par les féministes radicales britanniques au lieu de mainstream, male signifie mâle.
11 Susan Hawthorne est une poétesse et essayiste australienne active dans les luttes féministes depuis 1973.
12 In Defense of Separatism, chapitre 3, pp.67 à 84. La traduction est de moi.
13 Jo Brew : Radical Feminist Essays : Jo Brew’s Easy Way to Give up Patriarchy https://jobrew.substack.com/p/jo-brews-easy-way-to-give-up-patriarchy
14 Respectivement « patriark » et « patriarking » dans le texte de Jo Brew.
15 Empouvoirant : néologisme contenant le mot pouvoir qui signifie donner du pouvoir.
16 C’est Sheila Jeffreys qui insiste pour employer le mot caste plutôt que classe en parlant des femmes. Elle part du principe que l’on peut sortir de sa classe, mais pas de sa caste, ce qui est le cas des femmes en patriarcat, elles restent des femmes et ont un statut inférieur quoi qu’elles fassent, elles ne s’inscrivent pas dans l’histoire car leurs actes sont minimisés, ignorés et effacés. Voir le traitement qui a par ex. été réservé aux résistantes pendant la seconde guerre mondiale.