En finir avec la culture du viol

Noémie Renard anime depuis 2011 le blog Antisexisme.net. Elle a également animé un forum de discussion de 2011 à 2015 afin d’analyser les violences sexuelles dont sont victimes les femmes. Dans son livre En finir avec la culture du viol, publié en mars 2018 aux éditions Les petits matins, elle identifie les mécanismes favorisant les violences sexuelles et leur tolérance dans les pays occidentaux, et plus particulièrement en France. Elle met en lumière un ensemble de représentations culturelles et d’idées reçues qui banalisent les violences sexuelles.

« L’expression « culture du viol » est née dans les années 1970 aux États-Unis au sein du mouvement féministe radical. Il désigne une culture (dans le sens de « l’ensemble des valeurs, des modes de vie et des traditions d’une société ») dans laquelle le viol et les autres violences sexuelles sont à la fois prégnants et tolérés, avec un décalage entre l’ampleur du phénomène et l’impunité quasi-totale des agresseurs – pas seulement au sens juridique, mais aussi social. »

La culture du viol se caractérise par des idées reçues, des stéréotypes de genre, des attitudes concernant la sexualité, et permet de maintenir des inégalités sociales entre hommes et femmes et entre adultes et enfants.

Dans l’imaginaire collectif, le stéréotype du « vrai viol » est généralement commis par un homme inconnu de la victime, armé et appartenant à une catégorie défavorisée de la population. Il consiste en une pénétration anale ou vaginale par le pénis, s’accompagne d’une grande violence physique et a lieu la nuit, dans un espace public.

Quelques chiffres permettent d’appréhender la réalité sociale et culturelle du viol en France :

  • 94 % des auteurs d’agressions sexuelles sur les femmes sont des hommes, les 3/4 des viols commis sur des hommes ou des garçons sont perpétrés par des hommes, 80 % des victimes de viol sont majoritairement de sexe féminin, femmes et filles qui, dans la majorité des cas, ont moins de 18 ans ;
  • dans 70 % des cas le viol est perpétré par un membre de la famille, un proche, un conjoint ;
  • seul 11 % des viols sont perpétrés sous la menace d’une arme, et seulement 10 % des victimes présentent des blessures physiques, graves ou non ;
  • 7 % seulement des suspects sont atteints d’une maladie psychiatrique ;
  • seulement 2 à 10 % des accusations de viols sont mensongères ;
  • les agresseurs n’appartiennent à aucune catégorie socio-économique spécifique, ils sont aussi bien universitaires, chanteurs, chercheurs, gendarmes, qu’ouvriers ou agriculteurs, etc.

D’autre part, les hommes qui agressent sexuellement ne le font pas par manque sexuel, les études menées sur le sujet montrent de manière constante que les agresseurs sexuels ont en moyenne plus de partenaires au cours de leur vie que les hommes non agressifs. Les viols ne sont pas dus à des pulsions incontrôlables :

« Différents travaux de psychologie sociale confirment que le viol est le fruit d’une décision rationnelle, dépendant d’un rapport bénéfices/risques. Par ailleurs, les études visant à comprendre le comportement des violeurs en série montrent que ceux-ci ne laissent rien au hasard : le choix de la victime, les méthodes employées pour la piéger et la violer, le lieu de l’agression, etc., sont le fruit d’une réflexion. Loin d’être la conséquence d’une pulsion incontrôlable, le viol apparaît donc comme un acte calculé, souvent prémédité ».

Il est faux également de penser que l’homme ne peut maîtriser son désir sexuel, c’est ce que pensent pourtant 60 % des Français tandis que 21 % pensent que les femmes peuvent prendre du plaisir à être forcées.

La « vraie victime » de viol, quant à elle, se débat, porte plainte immédiatement, n’est ni alcoolisée, ni droguée, ni trop aguicheuse. Ces stéréotypes ne correspondent pas plus à la réalité que ceux concernant le « vrai viol ».

Dans la majorité des cas, la victime est frappée de paralysie :

« Il s’agit d’une réaction involontaire provoquée par une situation de stress et de peur intenses. […] Ce phénomène, appelé également « sidération », pourrait être analogue à une réaction observée depuis longtemps chez les animaux en situation de grand danger (en particulier lors des interactions prédateur-proie), et que l’on nomme « immobilité tonique ». »

Seulement 5 à 13 % des victimes de viol, et 2 % des victimes d’agressions sexuelles, portent plainte en France, 90 % des viols ne sont donc pas signalés. Parce qu’il y a la honte, la culpabilité, la peur, les menaces, le chantage affectif que les violeurs exercent sur leur victime, parce que beaucoup de victimes croient au mythe sur le viol et n’imaginent pas que l’agression qu’elles ont subie en était une (60 % des femmes).

Le viol est également souvent perçu comme une juste punition. Ainsi, 40 % de la population estime que la responsabilité d’un violeur est atténuée si la victime a eu une attitude provocante en public. La victime serait donc punie pour être trop dévergondée, ou coupable d’avoir fait de mauvais choix.

D’autre part, dans une société néolibérale et individualiste comme la nôtre il est souvent demandé aux victimes de tourner la page, de cesser de se plaindre, de prendre en main leur propre guérison. Pourtant, les violences sexuelles, en particulier les viols, sont susceptibles d’avoir d’importantes conséquences sur la santé des victimes. Elles entraînent des séquelles psychologiques qui peuvent persister des années après l’agression : troubles anxieux ou dépressifs, troubles du comportement alimentaire, troubles obsessionnels compulsifs. L’une de leurs conséquences psychologiques les plus graves est le syndrome de stress post-traumatique (SSPT) qui se manifeste par des cauchemars envahissants, des flash-backs, l’évitement de situations pouvant rappeler l’événement traumatisant. Elles peuvent aussi affecter la santé physique, générant des troubles digestifs, des troubles alimentaires, des problèmes gynécologiques, des maladies cardio-vasculaires. Elles sont un facteur d’addiction à l’alcool ou à des drogues. Leurs victimes commettent plus fréquemment des tentatives de suicide que le reste de la population. Les effets sont encore plus redoutables lorsque l’agresseur est un proche puisqu’il pourra agresser plus facilement, plus régulièrement et plus longtemps, et que la rupture de confiance qu’engendre le viol est désastreuse pour la victime.

Les chiffres confirment que les violences sexuelles sont massives et graves, et pourtant l’impunité est généralisée.

Les idées reçues concernant le viol et les agressions sexuelles ont pour effet de blâmer les victimes et d’excuser les coupables, aussi bien auprès des victimes elles-mêmes qu’auprès de leur famille, de leurs proches, des coupables, des juges et des magistrats.

C’est ainsi que la proportion de plaintes pour viol qui débouchent sur une condamnation est de l’ordre de 15 à 25 %, et seulement de 9 % pour les condamnations en cour d’assises. Seulement 2 % des agresseurs sexuels sont condamnés. Une véritable tolérance à l’égard des violences sexuelles rend la justice incapable de punir les agresseurs.

Selon la gravité de l’acte, le droit pénal français distingue les contraventions, qui relèvent du tribunal de police, des délits, jugés devant un tribunal correctionnel, et des crimes qui sont du ressort de la cour d’assises. Depuis les années 1970, le viol est considéré par la loi comme un crime, mais dans les faits, de nombreux viols sont disqualifiés en agressions sexuelles par le procureur ou le juge d’instruction. Ils sont ainsi jugés non plus comme des crimes mais des délits, devant un tribunal correctionnel plutôt qu’à la cour d’assise, ce qui a pour effet de banaliser le viol. Cette correctionnalisation concerne plus de la moitié des affaires de viols et toutes les agressions sexuelles dans le cadre du travail qui sont systématiquement disqualifiées en harcèlement sexuel.

« … le crime de viol devient un délit d’agression sexuelle ou de harcèlement sexuel, le délit d’agression sexuelle est qualifié de harcèlement sexuel ou de violence volontaire, et le harcèlement sexuel se transforme en harcèlement moral ou aboutit à une relaxe. […] Voir le viol que l’on a subi jugé en deux heures, entre une conduite en état d’alcoolémie et un vol de vélo, constitue effectivement une grande violence symbolique. »

Le livre de Noémie Renard

Si le viol est si fréquemment correctionnalisé, c’est parce que le système judiciaire français, en dehors du fait qu’il n’est pas en mesure de traiter tous les cas d’un crime aussi grave et répandu, est également influencé par les stéréotypes véhiculés par le mythe sur le viol. Ainsi, les viols se rapprochant le plus du « vrai viol » sont les plus signalés, jugés et condamnés. « Par ailleurs, plus le viol s’éloigne des clichés, plus la victime aura tendance à retirer sa plainte. Cette différence de traitement entre les « vrais viols » et les autres intervient ainsi à toutes les étapes du processus judiciaire. Par exemple, les viols commis par un inconnu seraient deux à trois fois plus souvent signalés que ceux commis par une personne connue. Si le violeur a commis des blessures visibles, la plainte pour viol aura également plus de chance d’aboutir à un procès. » L’appartenance de l’agresseur à une catégorie défavorisée (minorité ethnique ou chômeur) est également un facteur qui facilite le traitement de la plainte. Les suspects blancs et appartenant à une classe sociale aisée sont plus susceptibles d’éviter une enquête, surtout si la victime appartient à une classe sociale inférieure. Si la victime est atteinte d’une maladie ou d’un handicap mental, l’affaire a peu de chance d’arriver aux tribunaux. Quant aux viols digitaux et aux tentatives de viol, ils sont presque toujours disqualifiés.

« Ironie de l’histoire : alors que les viols se rapprochant du cliché du « vrai viol » sont favorisés dans le traitement judiciaire, les dénonciations mensongères comportent le plus souvent ces mêmes éléments stéréotypés : un inconnu, dans la rue, armé, etc. »

Socialement, les agresseurs sont facilement disculpés : Roman Polanski, qui a drogué et violé une enfant de treize ans et qui poursuit sa carrière et bénéficie toujours du soutien du 7e art ; le producteur Harvey Weinstein rendu célèbre par la triste histoire #Metoo ou #Balancetonporc ; Donald Trump, accusé de viol par plusieurs femmes, dont une fille de 13 ans ; Denis Baupin toujours à l’Assemblée nationale et Dominique Strauss-Khan qui continue de conseiller des gouvernements. Mais cela ne concerne pas que les individus célèbres.

« Les travaux conduits sur les familles incestueuses montrent que les membres de la famille restent aveugles et sourds aux violences sexuelles intrafamiliales, même lorsqu’ils se doutent de quelque chose. Quand les enfants dénoncent explicitement l’inceste dont ils sont victimes, ces révélations sont souvent reçues avec colère ou déni, et la plupart du temps les violences continuent. »

Il en est de même des scandales de pédocriminalité qui ont éclaboussé l’église catholique, malgré qu’il en ait été informé le cardinal Barbarin n’a pas jugé utile de les signaler à la justice. Ainsi, concernant les agressions sexuelles envers les femmes et les enfants beaucoup préfèrent encore détourner le regard et, plutôt que de dénoncer les agresseurs et de protéger la victime, optent pour la passivité et l’inertie. Ce comportement concerne la société entière parce qu’il y a un décalage incongru entre la nature de ces violences et la banalité de ceux qui les commettent. Parce que ces violences sont perpétrées par des hommes ordinaires et non par ces « autres » : voyou de banlieue, prolo incestueux, psychopathe, pervers, élites décadentes, etc.

Le mythe, véhiculé notamment par la psychanalyse freudienne, selon laquelle la femme aurait une sexualité masochiste, participe également à atténuer voire à nier l’agression. Ainsi, un juge d’instruction peut considérer qu’il n’y a pas de violences conjugales mais une simple « habitude d’entretenir des rapports sexuels violents », la répétition des viols étant considérée comme une inclination de la victime, et ce malgré des faits accablants. L’affaire est ainsi correctionnalisée et jugée comme simple délit.

À l’image de la société, la loi est empreinte de stéréotypes sexistes, fondés sur une conceptualisation androcentrée des violences sexuelles. L’un d’entre eux étant la disponibilité sexuelle des femmes et le droit d’accès des hommes à leur corps. Une femme est présumée consentir à l’activité sexuelle ou être la gardienne du temple coûte que coûte, la victime doit donc prouver qu’elle a été contrainte par l’agresseur. Mais, conceptualisation androcentrée oblige, la parole d’une femme ou d’un enfant ne vaut pas grand-chose face à la parole d’un homme. D’autre part, le viol est une violence en soi et plus particulièrement lorsqu’il concerne les mineurs, une personne en condition de handicap, une victime sidérée ou morte de peur.

« Un droit qui n’intégrerait pas ces stéréotypes postulerait que la personne qui initie l’activité sexuelle doit s’assurer du consentement effectif de son ou de sa partenaire. Autrement dit, un tel droit s’intéresserait avant tout à la volonté et aux désirs réels des protagonistes de l’interaction sexuelle, et non pas aux moyens déployés par l’agresseur pour faire céder sa victime. »

Le parcours judiciaire devient trop souvent une seconde victimisation, le manque d’empathie de nombreux acteurs du processus judiciaires étant courant. Cela vaut également pour les proches qui bien souvent posent des questions culpabilisantes et intrusives. L’effet d’impunité sur les violeurs participe également à cette victimisation, et favorise aussi le passage à l’acte.

« Il apparaît que les agresseurs potentiels font des choix rationnels : ils n’agressent que si le rapport bénéfices/risques leur semble favorable. Outres leurs valeurs morales et leur désir sexuel, c’est donc les conséquences possibles de leur acte qui affectent leur décision. Plus ils croient qu’ils pourraient risquer de subir une sanction (arrestation par la police ou renvoi de l’université, par exemple), moins ils se déclarent prêts à violer. Un sentiment d’impunité judiciaire ou sociale généralisé a donc, concrètement, de graves conséquences.

[…]

Les mythes sur le viol ont également un effet, aussi bien sur la propension au viol que sur les passages à l’acte réels : les hommes qui déclarent avoir déjà agressé sexuellement ou qui affirment qu’ils seraient prêts à le faire adhèrent davantage aux mythes sur le viol que les hommes non agressifs. Ces mythes permettent aux agresseurs de justifier moralement leurs actes, ils fonctionnent comme des neutralisants cognitifs qui permettent de s’arranger facilement avec sa conscience. »

La culture du viol permet à l’agresseur de s’épargner une part de culpabilité, d’autant plus si la victime était alcoolisée, en mini-jupe, si le viol n’est commis qu’avec un doigt, etc.

Historiquement, femme et enfant appartiennent au père de famille. Sous l’Ancien régime, le viol était une violation de la propriété du père ou de l’époux, tandis que les viols de femmes prostituées non mariées étaient sans gravité. Jusqu’au XIXe siècle, le maître avait le droit de violer les servantes ou les esclaves qui, dans l’imaginaire social, étaient moins respectables, ce qui justifiait les viols qu’elles subissaient. Le corps des femmes appartient donc aux hommes qui peuvent se l’approprier, sauf si celle-ci possède déjà un propriétaire. C’est pourquoi, jusqu’en 1980, seules les pénétrations vaginales par le pénis étaient incluses dans la définition légale du viol. Le véritable crime étant l’adultère et non le viol. Cette conception du viol et l’imaginaire érotique qui l’accompagne sont toujours d’actualité :

« Un viol est perçu comme moins grave s’il est commis par le propriétaire (conjoint), sur une femme « sans propriétaire » (à la sexualité non conjugale) ou s’il ne risque pas de provoquer de grossesse (exception faite du viol anal) ».

Si la plupart des viols apparaissent comme n’étant pas vraiment des viols, il est inutile de les condamner. C’est ainsi que le viol, dans notre société, est bien plus régulé que prohibé.

Les violences sexuelles ont un sens politique et rappellent à chacun-e‑s sa place hiérarchique dans la société. Elles sont une stratégie de domination qui permet de maintenir les femmes et les enfants dans une position d’infériorité. Chaque jour, deux enfants décèdent en France de violences infligées par des adultes. L’éducation et la socialisation des enfants participent à la reproduction de la hiérarchie entre homme et femme : passivité/action, faiblesse/force, gentillesse/agressivité, dépendance/recherche de succès. Cette domination est visible jusque dans les moindres détails du quotidien. Il suffit d’observer la façon dont les hommes, dans les conversations de groupe, monopolisent la parole.

Différentes études ont démontré que le viol est plus affaire de désir de domination et d’humiliation que de satisfaction sexuelle. Il est davantage question de pouvoir et de revendication d’accès au corps des femmes.

« D’autres études démontrent que les hommes enclins à commettre des violences sexuelles ou qui en ont déjà commis sont attirés par le pouvoir et font une association automatique entre pouvoir et sexualité. Cela signifie que, lorsque quelque chose leur fait penser au pouvoir, des idées en lien avec la sexualité leur viennent automatiquement. Par ailleurs, les hommes enclins à agresser sexuellement ont tendance à trouver une femme plus attirante quand on les a mis dans une situation qui leur a fait penser à la notion de pouvoir. Ce n’est pas le cas des hommes non agressifs, dont l’attirance pour les femmes n’est pas influencée par des pensées liées à la dominance. Ces données suggèrent que, chez les hommes agressifs sexuellement, une excitation sexuelle découle de l’exercice du pouvoir. »

Aussi bien les hommes que les femmes qui adhèrent aux mythes sur le viol souscrivent davantage aux idées sexistes, racistes, homophobes et méprisantes envers les pauvres. Toutes ces idées servent de justifications aux hiérarchies existantes dans la société. Les violences sexuelles sont un outil pour maintenir les hiérarchies existantes, elles permettent de réaffirmer la position de chacun. Le viol, et notamment le viol collectif, est en effet utilisé dans différentes sociétés par les hommes pour punir les femmes qui ne respectent pas leurs règles ou ont un comportement incorrect : refus des avances d’un époux, rapports sexuels illégitimes, etc. Un certain nombre de mythes sur le viol ont un caractère punitif. Une femme qui ne respecte pas certaines règles de bienséance ou de prudence a mérité son viol. Le viol est un contrôle disciplinaire qui permet de rappeler à l’ordre et sert à donner l’exemple à toutes celles qui voudraient défier le pouvoir masculin. Dans notre société, la peur du viol réduit les libertés des femmes, et notamment la liberté de circulation et la liberté sexuelle. Elles craignent de s’aventurer seules à certaines heures de la nuit, en certains lieux, en portant certaines tenues ; elles sont blâmées à cause de leur comportement sexuel. L’homme croit ainsi que les femmes doivent être protégées et les femmes réduisent leur liberté en échange d’une illusion de sécurité. Le harcèlement dans les lieux publics rappelle sans cesse la possibilité du viol. Les agressions sexuelles vulnérabilisent les victimes d’un point de vue psychologique mais aussi économique et social : perte d’emploi, perturbation scolaire pour les mineur-e‑s, etc. Le viol renforce également la vulnérabilité des filles et des femmes par les grossesses qu’il peut engendrer. Dans plusieurs sociétés, y compris occidentales, la grossesse est un moyen de contrôle, une immobilisation permise par une grossesse forcée, elle-même le fruit de rapports conjugaux forcés.

Les normes hétérosexuelles participent aussi de cette domination. Dès l’enfance, l’hétérosexualité est présentée comme unique modèle, et cette hétérosexualité est teintée de violence. Dans l’imaginaire social, la violence est constitutive de l’acte sexuel, elle paraît même indispensable au plaisir sexuel. Une dualité homme/femme s’ancre très tôt chez les enfants :

« les hommes ont des désirs sexuels irrépressibles ; les femmes ont des désirs sexuels plus faibles, et leur sexualité sert plutôt à obtenir ou à exprimer autre chose, notamment de l’amour.

Les hommes sont agressifs sexuellement, les femmes masochistes.

Les hommes sont actifs (sujets de désir, sujets sexuels) et les femmes passives (objets de désir, objets sexuels).

Les hommes se doivent d’être sexuellement compétents ; les femmes peuvent être des « oies blanches ». »

Selon certains auteurs et psychologues (H. Ellis, S. Freud), la violence sexuelle est constitutive de l’espèce. Les femmes ont besoin d’être violentées pour exciter l’homme. L’égalité entre homme et femme mettrait donc en danger la sexualité naturelle et désirable. Cet imaginaire est reproduit dans la pornographie où l’interaction sexuelle est binaire : pénétré/pénétrant ; dominant/soumis ; actif/passif ; homme/femme. Le lien entre pénétration et hiérarchie est ancré dans l’imaginaire de tous. Les implications de cet imaginaire des besoins sexuels de l’homme qu’il serait important de satisfaire s’étendent au-delà des rapports entre hommes et femmes et permettent de justifier et de banaliser des violences sexuelles à l’encontre d’enfants et de jeunes. « Certains hommes ont simplement le sentiment qu’ils ont le droit d’utiliser sexuellement des personnes de leur entourage, du moment qu’il ne s’agit pas d’hommes adultes, et ne se privent pas de le faire. »

La grande majorité des femmes subissent des actes sexuels non désirés, qu’ils soient violents ou non, souvent consentis par abnégation de leur propre désir et sous le harcèlement du conjoint. L’imaginaire sexuel, dominé par l’hétérosexualité et dont seule la pénétration est l’accomplissement, participe à banaliser la coercition sexuelle qui domine la société. Pour s’extraire des nombreux actes de coercitions plus ou moins graves qui découlent d’une hétérosexualité trop longtemps imposée et fantasmée au profit des mâles, il est important de définir clairement le consentement féminin, qui doit s’exprimer par des mots et des gestes, mais aussi d’éduquer les enfants, dès l’école maternelle, à l’égalité des hommes et des femmes. La socialisation des garçons et des filles ne doit plus dépendre des stéréotypes de genre qui dominent encore nos sociétés. Il est urgent d’améliorer la prise en charge des victimes de violences sexuelles en formant des professionnels, et d’améliorer la définition du viol et des agressions sexuelles pour lutter contre la culture du viol dont les premières victimes sont les femmes et les enfants.

Ana Minski